Duo

Le romantisme noir de Patrick Bailly-Maître-Grand

Par Christine Coste · Le Journal des Arts

Le 2 septembre 2014 - 600 mots

Regards croisés à Strasbourg et à Chalon-sur-Saône sur 30 ans de création expérimentale du maître de toute une génération de photographes contemporains.

STRASBOURG/CHALON-SUR SAÔNE Patrick Bailly-Maître-Grand est un conteur. D’ailleurs dans son œuvre, « l’ambivalence de la narration photographique, entre un raffinement technique extrême et une iconographie très brute, pulsionnelle même, est particulièrement puissante », souligne Héloïse Conesa, conservatrice au Musée d’art moderne et contemporain de Strasbourg, et cocommissaire avec Patrick Bailly-Maître-Grand de la belle rétrospective que lui consacre le musée en partenariat avec le Musée Nicéphore Niépce à Chalon-sur-Saône, à la suite d’importantes donations du photographe à ces deux institutions.

Ce n’est pas la première rétrospective au MAMC, ni la première donation de Patrick Bailly-Maître-Grand à la ville de Strasbourg, où ce physicien de formation, passé par la peinture, s’est installé en 1980 et a développé son œuvre photographique. En 2000-2001, une importante exposition lui avait été déjà consacrée par Sylvain Morand, le prédécesseur de Héloïse Conesa à la conservation des collections photographiques du musée. Treize ans après, le regard porté sur l’œuvre et la scénographie – définie par l’artiste – met en lumière plus que jamais ses obsessions et références récurrentes de cette trentaine d’années de création, notamment à Josef Sudek et Étienne-Jules Marey, ses maîtres en photographie. À Strasbourg, « Les Pommes de Newton », série de six épreuves au chloro-bromure d’argent (2004) ou les « Lunes à boire » (1991-1994) à Chalon-sur-Saône font ainsi écho aux photographies de verre de table de Sudek, tandis que les « Gouttes de Niepce » (2006), série relative à l’histoire de Niépce et à l’histoire du XXe siècle via des symboles de l’industrialisation (rail de train, grue, élément de pont…), résonnent de son côté avec « Les Brumes de 1987 », série qui ramène au lieu de transition de l’ère industrielle, à sa passion aussi pour les trains et le cinéma expressionniste allemand.

Vision enjouée et mélancolique
Départies du procédé de l’expérimentation qui monopolise souvent les questions sur la photographie de Patrick Bailly-Maître-Grand, les deux rétrospectives, surtout celle de Strasbourg, relèvent sans jamais fléchir ce qui caractérise, et de fait sous-tend, l’œuvre de ce photographe qui travaille exclusivement à l’argentique et qu’à partir de procédés anciens (daguerréotype, rayogramme, chronophotographie, virage…) il réinvente, réinterprète minutieusement sans jamais se répéter. Au-delà de la virtuosité technique, de la concision de chaque série, et des références photographiques, littéraires ou scientifiques, l’œuvre colle au monde, à l’imaginaire tourmenté de l’artiste. Sa mélancolie, empreinte « d’une inspiration sensible au romantisme noir », pour reprendre les termes Héloïse Conesa, ressort au fil du cheminement où alternent, dans une grande cohérence, séries insolites, sombres, graves, facétieuses ou sensuelles. Si la réflexion sur l’histoire de la photographie et l’obsolescence constante du médium s’est faite plus prégnante dans les séries des années 2000-2010, les questions de la dissolution de la figure humaine, de la frontalité, de l’empreinte, de la captation du mouvement ou de l’ambivalence de l’inanimé reviennent régulièrement. La dissolution du « je » dans la paume de La main (sa main, 1998) ou dans Face et Profil (2006), elle-même décline au cours du temps d’autres figures puissantes. C’est « le désir (éthéré) d’image initiale qui détermine les outils nécessaires à sa réalisation concrète », rappelle Patrick Bailly-Maître-Grand. Et c’est le propos autant dans sa narration que dans le choix de la technique, du format également de l’image et de son cadre (eux aussi déterminés en fonction de la série) qui frappent par son réalisme sublimé.

Chalon-sur-Saône
Commissaire d’exposition : François Cheval assisté de Christelle Rochette
Nombre d’œuvres : 99

Strasbourg
Commissaire d’exposition : Héloïse Conesa
Nombre d’œuvres : 220

Patrick Bailly-Maître-Grand. Colles et Chimères
Jusqu’au 19 octobre, Musée d’art moderne et contemporain, 1 place Jean Arp, 67076 Strasbourg, tél. 04 88 23 31 31, www.musees.strasbourg.eu, tlj sauf lundi et jours fériés 10-18h, catalogue, éditions musées de la ville de Strasbourg, 35 €.

Patrick Bailly-Maître-Grand. Rétrospective
Jusqu’au 21 septembre 2014, Musée Nicéphore Niépce, 28 quai des messageries, 71100 Chalon-sur-Saône, tél. 03 85 48 41 98, www.museeniepce.com, tlj sauf mardi et jours fériés, 9h30-11h45/ 14h-17h45.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°418 du 5 septembre 2014, avec le titre suivant : Le romantisme noir de Patrick Bailly-Maître-Grand

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