Musée

Années 1950 : Tikimania

Le Quai Branly se met à la Tiki Pop

Le Musée du quai Branly fait revivre la vague Tiki Pop qui a déferlé sur l’Amérique d’après-guerre en mal d’exotisme, donnant naissance à une esthétique kitsch

Par Bérénice Geoffroy-Schneiter · Le Journal des Arts

Le 2 septembre 2014 - 745 mots

PARIS

Phénomène exclusivement nord-américain, la culture Tiki Pop gagne ses lettres de noblesse au Musée du quai Branly, à Paris. Kitsch à souhait, cette esthétique qui a pénétré de nombreux pans de la culture américaine dans les années 1950, puise sa source dans les images fantasmées des mers du Sud. Quand les vahinés se déhanchent à l’ombre des cocotiers et d'une déité grimaçante...

PARIS Non, vous n’êtes pas égaré dans un bar des tropiques ou dans le décor oublié d’un film hollywoodien, mais bien dans une très sérieuse exposition du Musée du quai Branly. Sur fond de musique hawaïenne, le visiteur y est invité à découvrir un phénomène esthétique largement méconnu des Européens : la culture Tiki Pop. Inspirée du fantasme des mers du Sud et de ses déités aux grimaces menaçantes baptisées « tiki », une production hétéroclite de bibelots kitschissimes à souhait allait envahir l’imaginaire comme les intérieurs de l’Américain moyen désireux de s’extraire de son quotidien. Relégués dès la fin des années 1960 dans les poubelles de l’oubli, ces cendriers, mugs à cocktail, flacons de parfum, boîtes de savons ou d’allumettes ont désormais les honneurs des musées grâce à la quête frénétique et passionnée d’une poignée de collectionneurs, dont Sven A. Kirsten, le commissaire de cette exposition non dénuée de profondeur. Sur fond de palmiers en plastique et de projections de films « exotiques », c’est en effet un miroir déformant de l’Amérique et de ses préjugés racistes qui se donnent à voir. À la figure de la sensuelle et débridée vahiné aux langueurs sirupeuses répond la silhouette trapue et inquiétante de Tiki, le dieu polynésien dont le rictus « primitif » s’affiche désormais, tel un logo, sur les façades des motels, des bowlings, des restaurants et des cafés. Dans ce bric-à-brac de pacotille et d’images stéréotypées, se devine en filigrane tout le désarroi d’une génération dont la réussite économique et sociale peine à dissimuler les plaies encore béantes : le traumatisme de l’attaque japonaise de la base navale de Pearl Harbour à Hawaï, les horreurs de la guerre du Vietnam…

Paradis artificiel
L’angoisse latente se dissout alors dans les vapeurs d’une rêverie doucereuse peuplée de huttes en bambou, de pirogues et de perroquets, d’aventuriers louches convertis en « indigènes » et de « hula girls » jouant lascivement du ukulélé. Très vite, l’industrie cinématographie va jouer un rôle capital pour distiller son flot d’images paradisiaques. Recréés artificiellement dans les studios de Hollywood ou sur les plages environnantes de Los Angeles, des décors de carton-pâte accueillent les aventures hautes en couleurs de héros qui ont les traits de Burt Lancaster, de Clark Gable ou de Marlon Brando ! Ne pouvait-on imaginer meilleurs ambassadeurs pour faire rêver, depuis leur fauteuil ou leur pavillon de banlieue, les Américains englués dans leur confort ? Ambassadrices du paradis polynésien, les guitares hawaïennes déversent aussi dans les restaurants chics et les cafés ce succédané d’exotisme qu’est la culture Tiki Pop…

Ce que l’on pourrait, de prime abord, interpréter comme une mode aimable et passagère va cependant s’imprimer durablement dans l’environnement même de l’Amérique des années 1950. L’exposition du Quai Branly souligne ainsi l’extraordinaire floraison d’immeubles et de parcs de loisirs directement inspirés de cette rêverie. Avec ses architectures dont les toits en forme de « A » et les matériaux rappellent les maisons communes mélanésiennes, le « style tiki » devient un genre décoratif à part entière, hissant Hawaï et la Polynésie comme modèles… Moins dupe que ses aînés, volontiers libertaire et iconoclaste, la génération suivante va cependant basculer de son piédestal l’omniprésent Tiki pour le remplacer par d’autres idoles et d’autres paradis artificiels. La marijuana détrône bientôt les cocktails, le jean frangé chasse la chemise hawaïenne, la guitare électrique fait taire le ukulélé. Quant à la féministe, elle abhorre cette créature avilie et avilissante qu’est la vahiné des mers du Sud.

Phénomène fécond mais éphémère, la culture Tiki Pop a constitué néanmoins un immense réservoir d’images et de formes comme l’illustrent avec brio ces meubles, menus de restaurant, couvertures de livres ou pochettes de disques exhumés avec passion par Sven A. Kirsten qui se nomme lui-même « archéologue urbain ». D’une énergie débordante et farouche, leur graphisme et leur design inspirent à nouveau les artistes underground de la scène du surréalisme pop. Soit un revival autant surprenant que savoureux…

Tiki pop

Commissaire de l’exposition : Sven A. Kirsten, spécialiste de la culture Tiki Pop, collectionneur et archéologue urbain.
Scénographe : Reza Azard
Nombre d’œuvres : 450 environ

Tiki Pop, l’Amérique rêve son paradis polynésien

Jusqu’au 28 septembre 2014, Musée du quai Branly, Mezzanine Est, www.quaibranly.fr, mardi, mercredi et dimanche 11h-19h, jeudi, vendredi et samedi 11h-21h, catalogue Éditions Taschen, 384 pages, 39,99 €.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°418 du 5 septembre 2014, avec le titre suivant : Le Quai Branly se met à la Tiki Pop

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