Cinéma

Renzo Piano offre un écrin à Pathé

L’ancien site du théâtre des Gobelins accueille la Fondation Jérôme Seydoux-Pathé et son inestimable fonds d’archives cinématographiques, logés dans une structure audacieuse signée Renzo Piano.

Par Maureen Marozeau · Le Journal des Arts

Le 2 septembre 2014 - 1040 mots

Ovni d’acier et de verre délicatement logé au cœur d’un quadrilatère d’immeubles bordant l’avenue des Gobelins, le nouvel édifice parisien de Renzo Piano abrite la Fondation Jérôme Seydoux-Pathé. Sise en lieu et place d’un ancien théâtre populaire du XIXe siècle transformé en salles de cinéma, la fondation se consacre à l’étude et à la valorisation du patrimoine historique de Pathé.

PARIS - Et de sept ! En attendant l’achèvement du nouveau Palais de justice prévu pour novembre 2017 dans le quartier des Batignolles, Paris compte un nouveau bâtiment signé Renzo Piano non loin de la place d’Italie. La Fondation Jérôme Seydoux-Pathé ouvre ses portes au grand public le mercredi 10 septembre, en lieu et place de l’ancien complexe de salles de cinéma Gaumont Gobelins-Rodin. Fondée en mai 2006 par Jérôme Seydoux, propriétaire de Pathé depuis 1990, la fondation était trop à l’étroit dans les locaux du 8e arrondissement de la puissante société de production, de distribution et d’exploitation de cinéma. Il lui fallait un bâtiment capable d’accueillir les chercheurs tout en mettant en valeur ses collections : une mission que l’architecte italien a entreprise dès 2006. Présidente de la fondation et épouse de Jérôme, Sophie Seydoux a fait part de son admiration sans bornes pour Renzo Piano qu’elle a choisi, car il s’agit d’un projet privé, sans le faire passer par la case du concours d’architecture (1).

Le choix du 73, avenue des Gobelins s’est imposé naturellement. Fermé depuis 2003 en raison d’une politique de réduction des coûts d’exploitation, le cinéma désaffecté servait d’entrepôt. Propriétaire des lieux, la société Europalaces, filiale des groupes Gaumont et Pathé, espérait alors vendre le site dont rien ne laissait deviner qu’il s’agissait à l’origine d’un théâtre à l’italienne datant de 1869. Le théâtre des Gobelins a vu défiler les plus grandes vedettes à l’affiche de productions populaires à grand spectacle. Après avoir accueilli dès 1906 des projections d’œuvres cinématographiques, il s’est mué en cinéma permanent dans les années 1930. Pour répondre aux besoins d’exploitation, le théâtre a subi maints réaménagements, dont une transformation en deux salles distinctes, ce jusqu’en 1993. Un premier petit bâtiment abritant la zone d’accueil menait, par un long couloir, à un second bâtiment en retrait dans lequel se déployaient les salles. Plus rien ne subsiste aujourd’hui du site hormis la délicate façade en pierre du premier édifice donnant sur l’avenue, sculptée par le jeune Auguste Rodin en 1868 et inscrite à l’inventaire supplémentaire des Monuments historiques.

Une coque qui abrite un patrimoine exceptionnel
Renzo Piano a dû composer avec ce témoignage patrimonial qui masque à peine une étonnante structure venue se poser au cœur de l’îlot d’immeubles. Haute de cinq étages, cette bulle d’acier et de verre offre 2 200 m2 de surface. Aux 4e et 5e étages, le centre de recherches et de documentation et les bureaux des employés sont les premiers bénéficiaires de l’élégance de Renzo Piano, un intérieur stylisé en bois blond sous le sommet de la verrière donnant sur les toits de Paris. Les 2e et 3e étages sont en revanche aveugles, car ils renferment les précieuses archives de la fondation dans une atmosphère contrôlée (lire l’encadré). Au 1er étage, une salle d’exposition met en valeur la moitié des quelque 400 modèles de caméras et de projecteurs de la collection Pathé, retraçant près d’un siècle de l’histoire de la société. C’est là que se dérouleront aussi les ateliers pédagogiques similaires à ceux que propose la Cinémathèque française (12e arrondissement), permettant aux scolaires de se familiariser avec l’usage de la pellicule. Au sous-sol, une salle de projection pour 68 personnes, dotée d’un projecteur numérique et de deux projecteurs 35 mm – les séances payantes puiseront dans le fonds de films muets de la Fondation (actualités, films restaurés) et seront accompagnées d’un pianiste. L’ensemble est habillé d’une coque en maille d’acier qui, par souci d’harmonie, recouvre la verrière constituée de 7 000 pièces de verre à double courbe conçues sur mesure. La structure organique, que d’aucuns ont comparée à un cornet acoustique, un scarabée voire un tatou géant, est d’autant plus étonnante qu’elle semble léviter. L’architecte a tenu à réaliser un rez-de-chaussée en verre, donnant aux passants de l’avenue des Gobelins une vue transversale sur le jardin en arrière-plan. Non content d’améliorer la luminosité et la ventilation des immeubles voisins grâce à sa ligne aérodynamique, l’objet architectural non identifié s’accompagne en effet d’un espace arboré de 200 m2. Sophie Seydoux se félicite de l’obtention rapide du permis de construire en novembre 2008 sans qu’aucun recours n’ait par la suite été posé par les riverains. Ces derniers se sont surtout plaints de la longueur et de l’importance des travaux – comme tout gros chantier, le 73, avenue des Gobelins a eu son lot de retards et de contrariétés. L’entreprise s’est échelonnée sur cinq ans : trois ans de démolition et de travail sur les fondations ; un an d’arrêt forcé dû à la faillite d’un entrepreneur en maçonnerie ; et un an pour achever le bâtiment. Dès le 10 septembre, le public pourra embarquer dans le vaisseau Piano pour un voyage au temps du cinéma muet.

Note

(1) Au début des années 1980 à Montrouge, Renzo Piano a signé le siège français de Schlumberger, société américaine fondée par le grand-père maternel de Jérôme Seydoux, Marcel Schlumberger.

La mémoire de Pathé

Mine d’or inestimable pour les historiens du cinéma, les archives de la Fondation Jérôme Seydoux-Pathé renferment la mémoire de la société Pathé créée en 1896. Plus de 10 000 films ont été produits et distribués par la société en plus d’un siècle, une activité que ce fonds d’archives reflète par sa étourdissante diversité : affiches, maquettes et dessins de décors, scénarios et synopsis, caméras et projecteurs, contrats, bibles de tournages, photographies de plateau et de promotion, registres commerciaux, brevets, documents juridiques, dossiers de presse, livres et périodiques, revues de presse, interviews, accessoires et costumes, DVD et produits de merchandising proposés à la vente ou distribués par le biais d’opérations commerciales… Le soin apporté à la conception des affiches, aujourd’hui guidé par des impératifs commerciaux et les clauses imposées par les acteurs dans leurs contrats, comme à celui des dossiers de presse, véritables bijoux d’édition, trahissent la disparition du savoir-faire d’une époque révolue. La numérisation de ce fonds avance lentement mais sûrement.

Fondation Jérôme Seydoux-Pathé

73, avenue des Gobelins, 75013 Paris, www.fondation-jeromeseydoux-pathe.com

Légende Photo :
La Fondation Jérôme Seydoux-Pathé, architecte : Renzo Piano. © Photo : Michel Denancé/Coll. Fondation Jérôme Seydoux-Pathé/RPBW.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°418 du 5 septembre 2014, avec le titre suivant : Renzo Piano offre un écrin à Pathé

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