Clive Bell et la France « Art, love and thought » (1904-1939)

Le Journal des Arts

Le 18 juin 2014 - 760 mots

Clive Bell (1881-1964) appartient à un célèbre cénacle anglais, le groupe de Bloomsbury, qui comprend au début du XXe siècle Virginia Woolf, John Maynard Keynes ou encore Duncan Grant.

Souffrant d’une réputation d’homme superficiel, Bell n’a guère retenu l’attention des historiens. Sans tomber dans le piège de la réhabilitation, ses apparences mondaines ne contredisent pas la réalité de ses amitiés françaises. Le social est lié à l’artistique, puisque Bell, critique d’art, s’avère être un interlocuteur privilégié pour les artistes outre-Manche et un médiateur jouant aux côtés de Roger Fry un rôle important dans la pénétration de l’art français en Grande-Bretagne.

Étudiant, Bell effectue en 1904 à Paris un séjour initiatique à plusieurs égards. Au lieu d’écrire sa thèse, il se rend quotidiennement au Louvre. De cette année date l’ancrage de sa passion non seulement pour l’art français mais aussi pour ses modes de vie, une passion partagée avec celle qui devient sa femme en 1907, Vanessa Stephen. Critique littéraire à Londres, Bell bascule dans le monde de la critique d’art quand Fry l’associe en 1910 et 1912 à l’organisation des deux expositions post-impressionnistes des Grafton Galleries. Ces deux événements provoquent un grand retentissement sur la scène artistique britannique qui s’ouvre alors à peine à l’impressionnisme. Toutefois, sa participation la plus efficace à la bataille post-impressionniste reste la publication d’Art en 1914. Cet ouvrage, malgré ses faiblesses, a le mérite d’attaquer et de briser l’idée que la valeur d’une œuvre d’art dépend de considérations de sujet. Ardent francophile, Bell souligne l’importance de l’apport français à la nouvelle modernité anglaise, du moins celle qu’il choisit d’exposer en 1912.
Durant l’entre-deux-guerres, par l’intermédiaire des Ballets russes, Bell s’insère dans les cercles artistiques et littéraires parisiens. Derain, Picasso deviennent de bons amis. Ses voyages répétés et sa connaissance des scènes culturelles française et anglaise font de Bell, pour les Français, un intermédiaire idéal avec le monde britannique. Il investit d’autres champs que les arts visuels, comme la littérature, étant l’auteur du premier ouvrage anglophone sur Proust. À Londres, il est le francophile, le spécialiste du sujet. Bell parcourt l’Europe, découvrant ce qu’elle a à offrir en termes d’œuvres d’art, de lieux et de personnes. Sur tous ces points, la France l’emporte. Libérés du poids de la censure qui pèse en Angleterre sur le théâtre et la littérature, les Français respectent les valeurs de tolérance chères au critique et se soucient des choses essentielles, c’est-à-dire l’appréciation des arts et bienfaits culturels et la primauté de la raison, que Bell décrit comme les conditions indispensables à la civilisation.

La France est indissociable de la qualité de l’art qui y est produit. Au fil de ses écrits, Bell élabore et tisse sa notion de l’art français. Il apprécie la capacité de ces artistes à rendre l’essence des choses, qu’il distingue de la simple imitation. Il admet que cet art se trouve désormais immergé dans la vague européenne, bien que certains artistes, Renoir, puis Derain, témoignent toujours d’une certaine vivacité de la tradition nationale. Il constate avec regret, à la veille de la Seconde Guerre mondiale, que la prééminence de Paris est menacée. Bell peine certes à comprendre les nouvelles orientations de l’art, notamment le surréalisme, et s’acclimate difficilement, dès 1930, à des œuvres qui ne répondent plus à son idéal formaliste. Toutefois, l’étude de l’ensemble de la production écrite de Bell va à l’encontre de l’image longtemps véhiculée d’un critique incapable d’évoluer dans sa pensée. N’occupant pas de fonction officielle dans le monde de l’art, Bell ne saurait jouer un rôle institutionnel décisif, mais à mesure qu’il devient un critique renommé à Londres, on ne peut lui nier une véritable influence.

Le défaut de Bell, souvent accusé de francophilie exacerbée, a probablement été un panégyrique trop passionné de l’art français et une dépréciation parallèle de l’art britannique. Les critiques anglais ne sont pas défavorables à l’art français, mais acceptent mal l’idée que son éloge se fasse au détriment de l’art national. L’inflexion des années 1930 est une étape décisive dans la carrière de Bell, dévoilant un critique plus soucieux de défendre, y compris en France, l’art de son pays. Bell accède à une certaine reconnaissance alors qu’il rééquilibre ses exposés sur les arts français et anglais, soulignant l’existence d’une avant-garde nationale dynamique. Du côté français, la Légion d’honneur vient couronner en 1936 son œuvre pour la diffusion de la culture française en Grande-Bretagne. Bell a indéniablement concouru à étendre la connaissance et la compréhension de l’art français en Grande-Bretagne. Il est délicat d’évaluer à quel point son rôle fut décisif. Il est en tout cas bien réel.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°416 du 20 juin 2014, avec le titre suivant : Clive Bell et la France « Art, love and thought » (1904-1939)

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