Stéphane Théfo : « La conservation des œuvres est aussi la protection du vol »

Commandant de police, chef de projet du Bureau des affaires juridiques, INTERPOL

Par Jean-Christophe Castelain · Le Journal des Arts

Le 17 juin 2014 - 1044 mots

INTERPOL (l’organisation internationale de police criminelle) basée à Lyon vient de réaliser un audit de la sécurité des sites patrimoniaux de la Ville de Genève. Il a été conduit par Stéphane Théfo. Ce commandant de police a une longue expérience des diagnostics de « sûreté », acquise au ministère de la Culture de 2004 à 2010. Il est mis à disposition d’INTERPOL depuis 2010.

Dans quelles conditions a été réalisé l’audit sécurité des musées de Genève ?
INTERPOL a remporté l’appel d’offres de la Ville qui portait sur la protection contre le vol et l’incendie de dix-huit de ses sites patrimoniaux. Nous avons réalisé l’audit en 2013 et rendu notre rapport il y a deux mois. Je ne peux évidemment pas vous donner les détails du rapport, mais le bilan est dans l’ensemble satisfaisant à l’exception d’un seul site critique. Cette prestation qui a mobilisé environ 50 jours/hommes (nous étions trois) a été facturée 100 000 francs suisses (82 000 euros) à la Ville. C’est une démarche exemplaire et j’ai trouvé en face de moi des gens particulièrement responsables et attentifs.

Cette prestation entre-t-elle dans le cadre des missions d’INTERPOL ?
C’est relativement nouveau et nous voulons développer cette activité qui fait sens avec notre mission de lutte contre les trafics de biens culturels. De manière générale, INTERPOL ne mène pas d’investigations, mais organise la coopération policière entre ses 190 pays membres. S’agissant des œuvres d’art, nous favorisons l’échange d’informations de pays à pays ou à travers des colloques. Nous avons mis en place une base d’objets volés qui comprend actuellement 43 000 pièces alimentée essentiellement par les Bureaux centraux nationaux, mais aussi parfois par l’ICOM (Comité français du Conseil International des Musées) et l’Unesco. C’est encore faible par rapport aux 3 millions d’objets volés de la base italienne, mais en revanche comparable à la base française TREIMA de l’OCBC (Office central de lutte contre le trafic des biens culturels). Sa particularité est d’être accessible au public, d’être gratuite, de comporter des photos et de ne pas être dans une logique commerciale comme certaines bases du marché. Il y a un projet en cours, appelé Psyché, qui vise à automatiser les liaisons informatiques avec les bases des pays lorsque ceux-ci en disposent.

En quoi la prévention est-elle importante ?
Elle est essentielle car aujourd’hui on ne retrouve qu’environ 5 % des objets volés et il faut donc travailler en amont si l’on veut sauvegarder le patrimoine. La sûreté doit être abordée de manière globale. Il faut avoir de bonnes procédures organisationnelles, une présence humaine dans les lieux, de bonnes protections physiques (murs, vitrine, système d’accrochage), des protections électroniques et de la vidéo protection. Il n’est pas nécessaire de transformer les musées en blockhaus  pour les protéger. C’est surtout du bon sens. Je constate très souvent des failles, des vulnérabilités notamment dans le niveau primaire de protection physique, vitrine, systèmes de soclage ou d’accrochage. Combien d’œuvres ai-je vu accrochées au mur avec un simple crochet « X » ! Il est aussi indispensable de réaliser des inventaires. Un voleur est moins tenté de voler une œuvre inventoriée car il sait que l’œuvre va être référencée dans une base de données et donc plus difficile à revendre. Une étude de l’École du patrimoine africain montre par exemple que plus de la moitié des musées africains audités n’ont pas d’inventaire. Mais c’est aussi vrai des particuliers dans les pays occidentaux. La conservation des œuvres, c’est aussi la protection contre le vol et pas seulement la protection contre les altérations du temps.

Pourquoi ne retrouve-t-on que 5 % des œuvres volées ?
D’abord parce que la lutte contre le trafic des biens culturels est secondaire par rapport à la protection des personnes. Très peu de pays disposent d’unités spécialisées et obligent les marchands à tenir un registre de police. Et puis le bien culturel n’est pas par nature illicite comme les armes ou la drogue, il faut donc déterminer sa provenance frauduleuse, ce qui est très compliqué car il y a souvent une absence de traçabilité, avec souvent un « maquillage » de l’objet. Par exemple à la douane, les objets sont déclarés comme de l’artisanat. Les pièces sont accompagnées de fausses histoires lorsqu’elles sont mises en ventes publiques. Par ailleurs, les objets sont très mobiles et les transactions très rapides. Une fois franchie la frontière, l’objet va passer entre plusieurs mains avant d’arriver dans celles d’un détenteur de bonne foi. Et là on rencontre des problèmes juridiques. Ainsi une Pietà qui a été volée dans une église bretonne, est aujourd’hui au Chili entre les mains d’un détenteur de bonne foi qui ne veut pas rendre l’objet et rien ne permet pas de l’y contraindre. Dans les pays de droit romano-civiliste, comme en France, « possession vaut titre », c’est-à-dire qu’un objet volé mais acheté au final par un acquéreur de bonne foi demeure sa propriété, ce qui n’est pas le cas dans les pays anglo-saxons de common law où l’objet volé est restitué au propriétaire d’origine.

Les vols ont-ils tendance à augmenter ?
C’est difficile à dire de manière générale. Ce qui est certain c’est que certains facteurs contribuent à accroître les vols ou le pillage archéologique. Il y a d’abord le cas des pays en conflit (Syrie, Égypte), puis celui des pays en développement qui se préoccupent peu de ce trafic car ils ont d’autres priorités. En revanche des pays comme l’Équateur, le Chili ou encore l’Algérie commencent à s’organiser et à monter des unités spécialisées. Aujourd’hui, et notamment sous l’effet de la crise, tout se vole, avec des possibilités nouvelles d’écouler les objets, via Internet par exemple. Et pas simplement sur eBay, il y a quantité de sites spécialisés. D’autre part, avec la hausse des cours des métaux précieux, on vole depuis quelques années déjà les statues publiques que l’on fond rapidement avant de les revendre facilement à des ferrailleurs

Pourquoi militez-vous pour développer la répression contre le trafic des biens culturels ?
Car le bien culturel n’est pas un bien comme les autres, il est porteur de l’identité d’un pays, ou de communautés, dans un monde qui se globalise très rapidement. Chaque fois que j’ai pu me rendre dans des villages pour des restitutions de biens d’église volées, les gens sont présents et émus.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°416 du 20 juin 2014, avec le titre suivant : Stéphane Théfo : « la conservation des œuvres est aussi la protection du vol »

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