Architecture

Rétrospective

Les concepts de Tschumi

Par Sophie Trelcat · Le Journal des Arts

Le 20 mai 2014 - 878 mots

Le Centre Pompidou a sélectionné 45 projets dans l’œuvre de l’architecte et théoricien Bernard Tschumi et tisse un lien entre chacun d’eux.

PARIS - Creusées, disloquées, démantelées, en porte-à-faux, sur pilotis… les flamboyantes Folies de la Villette, identifient le parc éponyme, au même titre que les entrées de métro d’Hector Guimard qualifient Paris. Accueillant différents services (billetterie, observatoire, restaurant…) elles scandent un parcours, génèrent des mouvements et des actions tout au long de la promenade de ce territoire culturel et de loisir.

Populaire dans tous les sens du terme, cette réalisation phare de la restructuration de l’Est parisien dans les années 1980 a pour origine une recherche théorique d’une quinzaine d’années. Conceptuelle et transdisciplinaire, cette dernière a marqué le début de la carrière de Bernard Tschumi. C’est le lien entre théories et édifications, deux domaines dont l’objectif commun est l’architecture comme forme de connaissance, que tisse clairement l’exposition « Architecture : Concept & notation ». Après un diplôme obtenu en 1969 à l’École fédérale polytechnique de Zürich, l’architecte franco-suisse enseigne à la fameuse Architectural Association School de Londres et dans une atmosphère post-soixante-huitarde. À l’instar de ses confrères, Rem Koolhaas et Zaha Hadid, il souhaite « questionner ce qu’est l’architecture avant de la faire ». Personnage nomade depuis son enfance, en pérégrinations à travers le monde et plus particulièrement entre New York et Paris (deux villes où il s’est aujourd’hui établi), Tschumi traduit ses premières recherches par des scénarios graphiques : les Screenplays réalisés entre 1976 et 1978 à partir d’extraits de films où l’arrêt sur image est transposé, par un système d’exercice graphique, en un espace architectural. Suivront des constructions abstraites ­réalisées de 1979 à 1982 à New York, aux Pays-Bas, à Londres et à Cassel dans le cadre de la dOKUMENTA et que l’architecte nomme déjà les « Folies du XXe siècle ». L’exposition de ces fictions architecturales est une primeur : « Les commissaires Aurélien Lemonier et Frédéric Migayrou ont réalisé un travail d’archéologue ; j’avais oublié ces maquettes et ces peintures à l’aérographe des Folies », explique-t-il. Quant aux Screenplays, propriété du MoMA de New York, ils n’avaient jamais voyagé.

De la théorie au concret
La scénographie de l’ensemble des photos, films, maquettes et dessins originaux a été réalisée par l’architecte lui-même : les documents sont présentés sur des panneaux verticaux organisés en cinq zones thématiques chronologiques et traversant un quadrillage de tables de documentations annexes. Par exemple, l’alcôve titrée « Programme, Juxtaposition, Superposition » correspond à la période des grands concours internationaux et elle est l’occasion de découvrir des photomontages inédits tels ceux représentant la Très Grande Bibliothèque de Paris, où l’architecte ajoute en toiture une piste d’athlétisme symbolisant, à l’ère informatique, l’exigence d’une attention nouvelle au corps. Et aussi, les collages réalisés pour expliquer le concept du projet du Fresnoy, Studio national des arts contemporains de Tourcoing, à son directeur, Alain Fleischer, qui ne parvenait pas à le visualiser.

Réhabilitant un ancien complexe de loisirs des années 1920, l’architecte a couvert ce dernier d’une nouvelle toiture qui abrite un espace interstitiel appropriable par les artistes. On se plaît à imaginer que cette réalisation livrée en 1997 s’inspire des interventions de la danseuse et chorégraphe Trisha Brown qui avaient tant impressionné Tschumi alors qu’elle investissait les toits de New York, pour ses spectacles dans les années 1970. Face à l’invention, à la pensée et à la plasticité portées par ces dessins, on pourrait céder un peu à la nostalgie tant leur esthétisme nous renvoie au constat de l’appauvrissement actuel de la représentation architecturale provoquée par l’outil informatique.
Les vidéos consacrées aux ateliers « Paperless » de l’Université de Columbia à New York mis en place par Bernard Tschumi au début des années 1990 montrent toutefois que, quelles que soient les évolutions de l’architecture, elle est toujours matière à penser. La rétrospective se conclut par la présentation du Parc zoologique de Vincennes livré en avril dernier. De la Villette à Vincennes, la boucle est bouclée.

Le Parc zoologique de Vincennes restructuré

Selon Bernard Tschumi, « un projet doit pouvoir se résumer en quelques mots, sinon il ne fonctionne pas ». Concernant la restructuration de cet équipement issu de l’exposition coloniale de 1931 qui vient de rouvrir ses portes, l’architecte est on ne peut plus clair : Il s’agissait de « mettre l’architecture au service du paysage » et « d’effacer la distinction entre une architecture destinée aux êtres humains et une autre pour les animaux en captivité ». Développé en collaboration avec l’atelier Jacqueline Osty et Associés pour la conception paysagère, le projet est basé sur l’immersion du visiteur au sien de cinq biozones.
Chargé de la réalisation des volières, de la grande serre, des enclos et des bâtiments d’accueil, Bernard Tschumi et son associée Véronique Descharrières ont mis au point le concept de double enveloppe, l’une visuelle et l’autre fonctionnelle, de manière à s’intégrer au maximum dans le paysage. Ainsi de la maison des girafes dont l’enveloppe extérieure est faite de madriers de bois qui est à elle seule un paysage. S. T. Fiche technique. Livraison : avril 2014 après six années de fermeture ; superficie : 16 hectares et 4 km d’allées ; serre : 3 000 m2 ; coût global : 167 millions d’euros dans le cadre d’un Partenariat Public Privé.

Bernard Tschumi

Jusqu’au 28 juillet, Centre Pompidou, Galerie sud, Paris, tlj 11h00-21h00, catalogue Éditions du Centre Pompidou, 256 pages, Français et anglais, 29,90 €.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°414 du 23 mai 2014, avec le titre suivant : Les concepts de Tschumi

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