Art contemporain

Sculpteur de toiles

Fontana : éloge de l’entaille

Le Musée d’art moderne confirme que l’artiste italien n’est pas simplement le « maître des toiles fendues »

Par Itzhak Goldberg · Le Journal des Arts

Le 20 mai 2014 - 704 mots

Le Musée d’art moderne de la Ville de Paris consacre au peintre italien d’origine argentine la première rétrospective française depuis celle, il y a une trentaine d’années, du Centre Georges Pompidou. L’inventeur du « Concept spatial » s’y dévoile sous toutes ses formes : peintures, céramiques, installations ou même sculptures figuratives polychromes.

PARIS - Artiste mondialement consacré, Lucio Fontana est devenu le « maître des toiles fendues ». Ses œuvres les plus connues sont des monochromes, aux couleurs pastel, à la limite du kitsch. Au centre, une ou deux entailles réalisées avec un cutter, des coupures précises, pratiquement chirurgicales, mais toujours élégantes. Le titre, invariable, est Concetto Spaziale-Attese (Concept Spatial-Fente). Les dates s’échelonnent entre 1949 et 1968, l’année de sa mort. L’affiche de l’exposition, sur laquelle figure Concept spatial, attentes (1966) ne déroge pas à cette tradition.

Fontana contribue à son mythe en racontant que la première lacération était une simple réaction de colère contre une peinture qu’il ne parvenait pas à finir. Vraie ou fausse, la légende donne à cette agression iconoclaste une aura romantique. L’anecdote est d’autant plus parlante, qu’inévitablement, ce geste agressif associé à la forme suggestive qui peut évoquer la chair écartelée, sont interprétés comme des allusions érotiques, voire sexuelles. Toutefois, si Fontana doit en partie sa renommée à cette signature picturale immédiatement reconnaissable, être assimilé à tel point à une invention artistique, certes spectaculaire, présente un inconvénient certain. De fait, elle « projette une ombre » sur l’ensemble de cette production foisonnante. La rétrospective ne tombe pas dans ce piège en plaçant dès l’entrée des statues figuratives polychromes des année 1930. Une façon de rappeler que l’artiste, né en Argentine en 1899, mais qui s’installe définitivement en 1947 à Milan, a fait l’apprentissage de la sculpture avant de pratiquer la peinture. Mais, cette distinction a-t-elle encore un sens dans son cas ? De fait, « traverser » la toile, perforer sa surface, est une façon de replacer le concept de la profondeur symbolique dans un espace réel, physique, environnant, celui occupé également par la ronde-bosse. Interrogation sur les limites entre deux et trois dimensions, qui se prolonge par une réflexion théorique, dont l’emblème est le Manifeste Spatial (1949). « Ni peinture, ni sculpture, pas de lignes délimitées dans l’espace, mais continuité de l’espace dans la matière », écrit Fontana. Autrement dit, le rêve de la transparence prônée par les futuristes devient réalité.

Une création diversifiée
L’exposition montre bien la polyvalence de Fontana, à l’aise avec différentes techniques et faisant appel à des matériaux variés. Céramique ou mosaïque, terre, plâtre, verre ou tubes de néon, la liste est longue. Cette pratique fait que le critique d’art français Michel Tapié le classe comme l’un des participants de l’art informel ou du matiérisme, mouvement né en Europe après la Seconde Guerre mondiale.

On peut trouver cette matière riche avec la série « La Fine di Dio » (« La Fin de Dieu », 1963-1964) où les toiles ovales, d’imposants œufs géants, sont percées et parsemées de paillettes et d’éclats de verre. La splendide La Fine di Dio de 1963, en provenance du Centre Pompidou (dont l’exposition Fontana en 1987 a fait date), recouverte d’une couche de peinture rose épaisse, est en elle-même un répertoire des trous de taille et de forme variables exploités par l’artiste. À la différence des fentes, aux bords lisses, les incisions ici sont irrégulières, heurtées et laissent apparaître la texture de la toile. Une peinture tactile, peut-on dire. Malaxage ultime, les Natures. Des sculptures en terre cuite fendue, des boules noires façonnées grossièrement et qui auraient gardé les empreintes de la main d’artiste.

Fontana, qui fait usage de matériaux organiques et dans ses travaux s’inspire de l’artisanat, est également attiré par la technologie. Utilisant très tôt le néon, il réalise pour la Triennale de Milan de 1951 une arabesque dans l’espace, une installation lumineuse, dont le musée nous propose une reconstitution. Le but est atteint : la matière et l’espace ne font qu’un.

Fontana

Commissaires : Choghakate Kazarian et Sébastien Gokalp
Scénographie : Cécile Degos
Nombre d’œuvres : 200

Lucio Fontana-Rétrospective

Jusqu’au 24 août, Musée d’Art moderne de la Ville de Paris, 11 av. du Président-Wilson, 75016, tél 01 53 67 40 00
www.mam.paris.fr
mardi-dimanche 10h-18h, jeudi 10h-22h.

Légendes photos

Lucio Fontana, Concetto spaziale, La Fine di Dio, 1963, Musée national d'art moderne, Centre Pompidou, Paris. © Photo : Centre Pompidou, MNAM-CCI, Dist. RMN/Adam Rzepka.

Lucio Fontana, Concetto spaziale, New York 10 (Concept spatial, New York 10), 1962, collection Fondazione Lucio Fontana, Milan. © Fondazione Lucio Fontana, Milano.

Thématiques

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°414 du 23 mai 2014, avec le titre suivant : Fontana : éloge de l’entaille

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