Histoire

La mise en scène du passé

Par Suzanne Lemardelé · Le Journal des Arts

Le 20 mai 2014 - 785 mots

Le Musée des beaux-arts de Lyon et le Monastère de Brou proposent un voyage dans le passé tel que le rêvaient les peintres du XIXe siècle.

LYON/BOURG-EN-BRESSE - En dédiant deux belles expositions aux peintres dits « troubadours » et plus généralement au regard nouveau porté sur le passé national au début du XIXe siècle, le Musée des beaux-arts de Lyon et le Monastère royal de Brou rendent en quelque sorte hommage à des enfants du pays.

En 1802, c’est en effet un Lyonnais, Fleury Richard, qui présente au Salon un tableau d’un genre alors inconnu : Valentine de Milan pleurant la mort de son époux Louis d’Orléans (1802, Saint-Pétersbourg, Ermitage). La duchesse y est représentée accoudée à une fenêtre, cheveux dénoués, toute à son désespoir. Le choix de ce sujet inédit couplé à la représentation poétique d’un univers médiéval assure à ce petit format un succès immédiat. Premier jalon de la redécouverte d’un passé médiéval jusqu’alors peu représenté par les peintres, le tableau ouvre l’exposition lyonnaise. Il y est confronté avec bonheur à des dessins préparatoires issus du fonds d’atelier de l’artiste, celui-ci ayant été acquis par le musée en 1988 et complété en 2005 par un don de ses héritiers. Le parcours chronologique s’attarde ensuite sur la figure de Pierre Révoil, à la fois peintre et collectionneur d’objets d’arts médiévaux.

Du genre anecdotique au genre historique
Les deux Lyonnais – « en quelque sorte les mauvais élèves de David », s’amuse Stephen Bann, commissaire d’exposition – mènent un groupe qui rompt avec la hiérarchie des genres. Ils peignent le passé, mais préfèrent l’anecdote aux grands sujets, et le format réduit aux toiles monumentales. « La critique considère qu’il ne s’agit ni de peinture d’histoire, ni de scènes de genre », explique le commissaire. Qu’à cela ne tienne, on imagine une nouvelle catégorie, le « genre anecdotique », plus tard rebaptisé « troubadour ». Ce goût conquiert également la sculpture et les arts décoratifs, comme en témoignent une pendule et une tasse ornées de reproductions du tableau de Fleury Richard François Ier montre à Marguerite de Navarre les vers qu’il vient d’écrire sur une vitre (1804, Arenenberg, Musée Napoléon Thurgovie). Il touche également certains artistes pourtant peu connus pour cette production, dont Ingres, qui dépasse cependant l’esthétique troubadour par son dépouillement et son sens de la ligne (Paolo et Francesca, 1819, Angers, Musée des beaux-arts).
Le parcours témoigne ensuite du tournant crucial que constitue l’œuvre de Paul Delaroche. Alors que le succès des « troubadours » décline, celui-ci conserve les sujets chers à ses aînés mais les traite dans un grand format qui renoue avec les canons plus traditionnels de la peinture d’histoire. Le « genre anecdotique » se meurt, le « genre historique » lui succède. Son succès est notamment révélé à travers Les Enfants d’Édouard (1830, Paris, Musée du Louvre), tableau largement repris et diffusé dans toute l’Europe. Depuis la France, le goût pour la mise en scène d’un passé, nécessairement national et teinté d’une certaine « couleur locale » se diffuse au-delà des frontières. L’évocation de cette influence européenne est l’un des développements particulièrement intéressants de l’exposition. Le genre devient international : Belgique, Allemagne, Angleterre, Italie, Espagne, Europe centrale… Tous s’en emparent et adaptent le modèle français aux enjeux locaux.

Un décor prisé pour les scènes romantiques
Dans une autre veine mais tout aussi réjouissante, l’exposition proposée au Monastère royal de Brou se concentre quant à elle sur les peintres troubadours et leur redécouverte des monuments médiévaux, dans un joli dialogue avec l’architecture flamboyante des lieux. Au fil de sections thématiques, elle entraîne le visiteur dans les cryptes, cloîtres, églises et châteaux où se jouent les drames romanesques dont le public était si friand. Qu’il s’agisse des amours de Mathilde et Malek-Adhel (trois tableaux de Rosalie Caron, 1812) ou des aventures du perroquet Vert-Vert, l’architecture gothique est l’écrin idéal de ces visions romantiques. Il s’agit encore une fois d’un retour aux sources puisque le Musée de Bourg-en-Bresse avait organisé une exposition fondatrice dédiée à ce courant pictural, alors peu étudié, en 1971.

L’invention du passé

Commissariat à Lyon : Stephen Bann, professeur émérite en histoire de l’art à l’université de Bristol et Stéphane Paccoud, conservateur en chef au Musée des beaux-arts de Lyon
Commissariat à Bourg-en-Bresse : Magali Briat-Philippe, conservateur du patrimoine

Histoires de cœur et d’épee en Europe 1802-1850
Jusqu’au 21 juillet. Musée des beaux-arts de Lyon, 10 place des Terreaux, 69001 Lyon, tel. 04 72 10 17 40
www.mba-lyon.fr
tlj sauf le mardi 10h-18h, catalogue éditions Hazan, 42 €.

Gothique mon amour…
Jusqu’au 21 septembre, Monastère royal de Brou, 63 boulevard de Brou, 01000 Bourg-en-Bresse, tel. 04 72 22 83 83
www.brou.monuments-nationaux.fr
tlj 9h-18h, catalogue éditions Hazan, 29 €.

Légende photo

Paul Delaroche, Les Enfants d’Édouard, 1830, huile sur toile, Musée du Louvre, Paris. © Photo : RMN (musée du Louvre)/René-Gabriel Ojéda/Service presse Musée des beaux-arts de Lyon.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°414 du 23 mai 2014, avec le titre suivant : La mise en scène du passé

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