Sophie Breuil

« Une fiscalité favorable à l’actif "art" »

Par Jean-Christophe Castelain · Le Journal des Arts

Le 9 avril 2014 - 1037 mots

Sophie Breuil, membre du comité de direction de la banque Neuflize OBC, supervise les activités de conseil
en patrimoine artistique. Elle analyse les rapports entre fiscalité et gestion d’un patrimoine artistique.

Quelle est l’histoire de Neuflize OBC ?
Neuflize OBC existe depuis près de trois cent cinquante ans et procède de la fusion de plusieurs banques patrimoniales fondées par des familles d’entrepreneurs. Elle appartient elle-même au groupe néerlandais ABN AMRO. L’État néerlandais détient pour l’instant cent pour cent d’ABN AMRO avant une mise en Bourse progressive, projetée à partir du deuxième semestre 2015.

La banque s’intéresse-t-elle au patrimoine artistique de ses clients depuis longtemps ?
La banque a toujours eu une approche de conseil large sur le patrimoine de ses clients, patrimoine professionnel et privé, dont le patrimoine artistique. Neuflize OBC Art existe depuis vingt-cinq ans. L’équipe « Art » est constituée de deux personnes et d’un partenaire extérieur, qui travaillent en collaboration avec différents professionnels du secteur. L’équipe « Art » comme les autres services de conseil de la banque travaillent conjointement avec le banquier qui suit le client, pour lui proposer des solutions sur mesure.
Nos conseils et prestations couvrent la conservation des œuvres (assurance spécifique, solutions de stockage dans nos propres locaux, restauration, transport) ; l’accompagnement à l’achat ou à la vente d’une œuvre d’art ; l’évaluation des œuvres notamment pour des problématiques de partage ou de succession ; l’accompagnement pour des transactions avec l’État, par exemple sur des dations en paiement des droits de transmission. Nous pouvons également mettre en place des crédits garantis sur des œuvres d’art, avec ou sans dépossession, en fonction des œuvres. Nous ne sommes pas des courtiers ni des marchands, nous veillons à conseiller nos clients dans la gestion de leur patrimoine artistique.

Y a-t-il des ratios sur la part idéale des œuvres d’art dans le patrimoine de vos clients ?
Non, cet aspect est très lié à la sensibilité des clients, il n’y a pas de ratio en général. La particularité du patrimoine artistique est qu’il y entre une grande part de motivation « plaisir ».
Évidemment nous mettrons en garde quelqu’un qui vendrait son entreprise et réinvestirait la totalité du produit de la vente dans l’achat d’œuvres d’art sans approche de diversification. La diversification vers le patrimoine artistique dépend de la sensibilité d’un client pour l’art, mais aussi de son appétence au risque, de son horizon de placement, de ses besoins en revenu. Un patrimoine artistique est peu liquide, et, en dépit d’exemples très médiatisés d’appréciation importante, la valorisation peut grandement fluctuer dans les deux sens. C’est difficile d’anticiper son évolution. Il y a plus de rationnel dans les actifs financiers ou immobiliers.

La fiscalité de l’art est-elle favorable en France ?
On peut dire que l’actif « art » bénéficie en France d’un régime dérogatoire très favorable : exonération d’ISF [impôt de solidarité sur la fortune], faculté d’exercer la taxe forfaitaire de 6,5 % sur le prix de cession des œuvres ou de bénéficier d’une exonération totale si détention supérieure à vingt-deux ans. Et depuis 2012, avec la suppression du système de prélèvement libératoire forfaitaire sur les plus-values et les revenus financiers, la différence de fiscalité entre le financier et l’art a fortement augmenté.
Il y a certes eu une dégradation du régime fiscal des cessions d’œuvres d’art début 2014, mais sa fiscalité reste néanmoins favorable par rapport à la fiscalité des revenus financiers ou immobiliers ; dans ce dernier cas, nous sommes sur un principe d’imposition sur la tranche marginale de l’impôt sur le revenu qui peut aller jusqu’à plus de 60 %.
En revanche, s’agissant des droits de transmission, le patrimoine artistique entre dans le régime de droit commun, qui est assez élevé en France, avec certes un régime de forfait mobilier mais que l’administration peut contester. La tranche marginale du barème progressif est à 45 % au-delà de 1,8 million d’euros entre parents et enfants.
On ne peut pas nier que cette fiscalité privilégiée soit un moteur d’achat, mais cela ne peut pas être le moteur d’achat exclusif. N’oublions pas que, contrairement aux placements financiers ou immobiliers, l’art ne produit pas de revenus. C’est certes un actif tangible, donc c’est rassurant, mais la variabilité du marché de l’art est globalement supérieure à celle de l’immobilier.

Le non-assujettissement de l’ISF est-il déterminant pour l’achat d’œuvres d’art ?
Oui et non. Avec le plafonnement de l’ISF plus des autres impôts à 75 % des revenus et la possibilité d’encapsuler les revenus dans des enveloppes capitalisantes, on arrive à « contenir l’ISF ». Encore une fois il ne faut pas arbitrer un patrimoine au profit de l’art en raison exclusive d’une fiscalité favorable. En outre, l’art ancien ou moderne est un marché de pénurie, il y a moins d’offres que pour des actions.

Jusqu’à quel niveau un alourdissement de la fiscalité de l’art pèserait-il sur cet actif ?
C’est très difficile de répondre à cela car, au-delà de la fiscalité spécifique à l’art, le secteur dépend de la fiscalité générale qui pèse sur l’argent disponible pour être investi dans l’art. Indubitablement, l’assujettissement des œuvres d’art à l’ISF serait dramatique pour le marché de l’art français, déjà bousculé dans un marché mondial de plus en polarisé sur l’Asie et les États-Unis. C’est un sujet cyclique dont la menace est agitée de temps en temps par un parlementaire en mal de notoriété, mais cela n’a jamais été très loin jusqu’à présent. Cependant cela laisse des traces dans l’esprit des familles.

Le patrimoine artistique des Français reste encore secret ; la fiscalité influe-t-elle sur cette discrétion ?
La fiscalité successorale française peut avoir un impact. Nous invitons toutefois vivement nos clients à intégrer le patrimoine artistique dans les successions, pour pouvoir notamment librement l’assurer et en disposer. Ceci permet en plus aux héritiers d’opter pour le régime de taxation des plus-values de valeur mobilière avec une exonération après vingt-deux ans, sous réserve de documenter la date d’acquisition. Mais je crois que, plus encore que le fisc, c’est la pression du marché qui pousse à la mise à jour des œuvres. La traçabilité des propriétaires participe de plus en plus de la valorisation des œuvres d’art. Le monde de l’art est en train de s’organiser pour identifier de plus en plus les propriétaires successifs.

Les articles du dossier : La fiscalité internationale de l’art au banc d’essai

  • La France stabilise sa fiscalité ></a></li>
    <li>Un Éden fiscal <a href=></a></li>
    <li>Une attractivité contrariée <a href=></a></li>
    <li>TVA, une difficile mise en oeuvre <a href=></a></li>
    <li>Droit de suite, nouvelle tentative <a href=></a></li>
<li>Les inégalités fiscales de l’art dans le monde <a href=></a></li>
</ul>
</div>
<b>Légende photo</b> :<br />
Sophie Breuil © Neuflize</p></div></body></html>

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°411 du 11 avril 2014, avec le titre suivant : « Une fiscalité favorable à l’actif "art" »

Tous les articles dans Actualités

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque