Sculpture

Acier

Géométrie dans l’espace

Par Itzhak Goldberg · Le Journal des Arts

Le 8 avril 2014 - 658 mots

Les « sculptures expressives » d’Anthony Caro s’illustrent au Musée Würth, en Alsace.

ERSTEIN - Pour ceux qui croient que l’art ne s’expose qu’à Paris, il est conseillé un voyage en Alsace. Plus précisément à Erstein, un petit bourg à côté de Strasbourg. Depuis 2008, un musée privé, Würth, du nom d’un entrepreneur allemand qui ne manque pas de ressources, organise des expositions d’une ampleur et d’une qualité impressionnantes. Deux ans après Anselm Kiefer, il présente Anthony Caro (1924-2013), un des sculpteurs majeurs de la seconde partie du XXe siècle.

L’ensemble montré ici se concentre sur les trente dernières années de cette production plastique. Toutefois, un travail plus ancien (Emma Push Frame, 1977-1978) permet de voir l’évolution de la sculpture de Caro, dont le style se modifie radicalement dans les années 1960. De fait, si l’artiste britannique, après des études d’ingénieur et une formation à la Royal Academy of Arts, à Londres, devient l’assistant d’Henry Moore, c’est la rencontre avec le fameux critique d’art américain Clement Greenberg qui va être déterminante. Après un séjour aux États-Unis où il fréquente des peintres et des sculpteurs abstraits (David Smith en particulier), Caro réalise des œuvres en acier qui éliminent toute référence aux objets réels. Construites à partir de simples plans géométriques assemblés et peints, placés à même le sol, sans socle, ce sont des formes ouvertes, des lignes de force, des vecteurs directionnels. Emma Push Frame, que l’on peut traduire approximativement par « Emma pousse le cadre », est un titre parfait pour une sculpture dessinée dans l’espace à l’aide de barres métalliques. À la différence de l’esthétique minimaliste, qui faisait appel également aux matériaux usinés, Caro rejette toute symétrie ; en introduisant des diagonales, il cherche un équilibre dynamique, tendu.

Le rapport à l’espace ne l’abandonne jamais, même si progressivement, l’artiste va employer des volumes imposants dans ses travaux. C’est que, loin de la forme fermée qui caractérisait la sculpture dans le passé, les réalisations de Caro examinent le plein et le vide. Les masses se morcellent pour devenir une agglomération de plans, de cavités et de saillies : Moonlight Folly (1992-1995) est une masse ronde creusée qui laisse entrevoir son noyau central ; Dreaming (1993-1997), une archi-sculpture dont une « porte » est une invitation à explorer l’intérieur.

Pliages de métal
Étude de l’espace qui va de pair avec celles de la matière. Caro délaisse le modelage et la fonte au profit de la soudure. Des techniques d’assemblages sont privilégiées, des éléments découpés et soudés par l’artiste, des œuvres faites à partir d’objets fabriqués ou de déchets industriels, recouvertes des nuances de la rouille et de la patine. Elles réunissent des éléments aussi simples que des tuyaux ou des morceaux de chaudières, des découpages et des pliages de métal anguleux, des morceaux de bois genre poutres et traverse et parfois des blocs de terre cuite.

L’expérimentation peut aboutir à des résultats étonnants, comme pour ses « Paper Sculptures », des reliefs faits à partir de feuilles de papier humides sur lesquels Anthony Caro fixe des fragments d’objets. Curieusement, c’est au contact d’un producteur de papier au Japon que l’artiste anglais est initié à cette technique particulière.

Le parcours de l’exposition s’achève sur une réalisation majeure, Le Jugement dernier (1995-1999). Cette installation, composée d’une vingtaine de pièces, chacune placée dans un cadre architectural, est une variation sur un thème lié à l’iconographie chrétienne. Ce n’est pas le seul exemple d’une interprétation par Caro des thèmes traditionnels ou des œuvres phares de l’histoire de l’art (voir Duccio Variations No. 2, 1999-2000, une « reprise » abstraite d’une annonciation de l’artiste italien). Toutefois, la taille monumentale, l’aspect narratif, un certain retour à la figuration, laissent le spectateur à la fois impressionné et perplexe. Cette œuvre dantesque illustre néanmoins parfaitement la capacité de Caro à défier la tradition en moderne mais aussi le souffle puissant qui traverse toute sa création.

Anthony Caro

Commissaire : Ian Barker, historien d’art
Nombre d’œuvres : 56

Anthony Caro

Jusqu’au 14 janvier 2015, Musée Würth, Z.I. Ouest, rue George-Besse, 67150 Erstein, tél 03 88 64 74 88
www.musee-wurth.fr
tlj sauf lundi mardi-samedi 10h-17h, dimanche 10h-18 h.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°411 du 11 avril 2014, avec le titre suivant : Géométrie dans l’espace

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