Disparition

Le Goff, le gai savoir

Par Colin Lemoine · Le Journal des Arts

Le 8 avril 2014 - 541 mots

Historien médiéviste renommé et conteur magnifique, Jacques Le Goff s’est éteint à l’âge de 90 ans.

PARIS - Il n’a jamais aimé les symboles faciles, les ruptures évidentes. Il milita moins pour les dates et les périodes, les « 1515 » et « les Lumières », que pour les nuances et les ombres, tous les indices ténus, presque fétichistes, qui trahissent un peu d’une société, qui en disent la prose des jours comme les rêves enfouis.

Sa vie, Jacques Le Goff la commença pourtant par une rupture calendaire, lui qui naquit à Toulon un 1er janvier, celui de l’Année folle 1924. Un père enseignant et anticlérical, une mère catholique fervente, issue de la gauche sociale. Manière, dès les origines, dès ses origines, de lui rappeler que rien n’est simple et que les contraires peuvent cohabiter, que les antipodes peuvent se rejoindre, et pas nécessairement sur l’équateur des évidences.

Un feu indisciplinable
Avide et curieux, le jeune homme eut le privilège d’être éveillé au goût de l’histoire par le cicérone Henri Michel, son professeur au lycée toulonnais. Depuis l’École normale supérieure de la rue d’Ulm, intégrée en 1945, il découvrit le cinéma et la musique puis, grâce à de nombreuses bourses, Prague, Oxford et Rome. Agrégé en 1950, obsédé par la recherche, ce médiéviste brillant brûla presque les étapes : après un passage au CNRS, il devint assistant de Fernand Braudel puis, à 38 ans, directeur d’études à l’École pratique des hautes études, d’où il créa en 1975 une section autonome, la future « École des hautes études en sciences sociales ». Bien qu’il ne réalisât pas de thèse d’État, la faute à un feu indisciplinable, Le Goff dirigea dès 1969 la revue Les Annales, avec Emmanuel le Roy Ladurie et Marc Ferro.

Pour avoir maîtrisé de nombreuses langues et traversé de nombreux pays, l’historien fut un formidable commis voyageur pour sa discipline. Travailleur infatigable, Jacques Le Goff partagea avec Balzac une énergie infaillible, un physique puissant et, à une lettre près, le nom de l’aimée : en 1962, l’historien rencontra à Varsovie celle qui allait devenir son épouse – Hanka – et dont la disparition lui souffla en 2008 un livre poignant.

Au demeurant, le médiéviste fut toujours, comme son rival Georges Duby, un formidable conteur, capable de faire accéder son lecteur à de hautes idées. Sa Naissance du purgatoire (éd. Gallimard, 1981), qui le vit explorer ce règne de l’incertain et de la peur, fut un modèle du genre, d’un genre si rare où l’intelligence le dispute à l’aisance. En témoigne son Saint Louis (Gallimard, 1996), qui fut un immense succès de librairie. Le Moyen Âge selon Jacques Le Goff ne fut pas une ère obscure mais une période complexe, présidée par de nouvelles structures de pensée et par le surgissement de nouveaux imaginaires, marquée par une redéfinition du rôle accordé au travail, à la femme, au rite ou encore à la nourriture, autant de rivages inédits où accostèrent à sa suite de nombreux historiens de l’art.

Cet anthropologue historique, qui était pour Pierre Nora le « dernier des grands », fut comblé de distinctions internationales qui jamais n’érodèrent son ardeur et sa foi dans la recherche comme dans la transmission. Aujourd’hui, une discipline est orpheline et le savoir en berne.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°411 du 11 avril 2014, avec le titre suivant : Le Goff, le gai savoir

Tous les articles dans Actualités

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque