Le monde de l’ancien passe doucement la main

Par Vincent Noce · Le Journal des Arts

Le 26 mars 2014 - 607 mots

Il y a vingt ans, à Manhattan, les grandes familles prenaient rendez-vous le samedi chez Wildenstein. Près de la 5e Avenue, ils étaient conduits dans un salon, où la maison voulait bien leur présenter quelques tableaux de choix.

Les Boucher et les Monet étaient alors apportés sur des chevalets couverts d’un rideau noir, qui était soulevé pour susciter leur admiration. Aujourd’hui, l’immeuble est vendu et une partie de ces trésors filent discrètement aux enchères.

En 2009, la galerie Knoedler, qui alimentait les plus grandes collections américaines depuis son ouverture au milieu du XIXe siècle, a dû fermer. L’immeuble néo-Renaissance situé sur la 70e a été cédé et le stock mis à l’encan. La galerie avait eu le tort de s’orienter vers l’art contemporain, ce qui a causé sa perte, entraînée par un énorme scandale de faux Pollock et Robert Motherwell.

À Paris, aussi, les temps passent et les hommes changent. Hervé Aaron, un des enfants d’antiquaire ayant réussi le pari de la relève, se replie sur les tableaux à New York, en réduisant son commerce de mobilier à Paris. Les seigneurs du marché passent la main l’un après l’autre. Disparu en juin 2013, Maurice Ségoura, « Momo » comme l’appelaient ses confrères, ne faisait pas seulement partie de ce cercle fermé, il en était le « parrain ». Tristement, il s’était fait refiler sur ses vieux jours un faux tableau d’une bande sévissant dans le quartier Drouot. L’espace qu’il louait à François Pinault dans l’hôtel de Clermont-Tonnerre (Paris-7e) a été repris par la société de l’homme d’affaires. Sa collection a été dispersée aux enchères par Christie’s, où sa fille, versée dans l’art contemporain, fait une brillante carrière dans la branche française. Symboles de la fin d’une époque. Son ami Jean-Marie Rossi aurait pu le prédire : pendant un demi-siècle, cet antiquaire a négocié des bureaux Boulle et commodes BVRB, mais sa plus fabuleuse affaire, il l’a réalisée en revendant The Ring de Roy Lichtenstein, un tableau qu’il avait acquis pour un montant modique en 1963. C’est ainsi qu’il a pu s’offrir l’hôtel particulier XVIIIe en face de l’Élysée, dans lequel il s’est installé.

Valse des foires
Le théâtre baroque de ces grands personnages fait place au bruit et à la fureur des salles de ventes et des foires d’art contemporain. Il y a vingt ans, la Biennale des antiquaires à Paris rivalisait avec Tefaf (The European Fine Art Fair), la foire de Maastricht (Pays-Bas), toutes deux suivies péniblement par l’Armory Show à New York, et Grosvenor House Art & Antiques à Londres... Cette dernière a fermé en 2009, au lendemain de sa 75e édition. La Biennale 2012 au Grand Palais ayant accordé une place éminente à la joaillerie, Tefaf, vantée pour son organisation impeccable, survit comme le seul rendez-vous planétaire de l’art classique.

En revanche, leurs homologues d’art contemporain, Art Basel, la Fiac parisienne, ou même Frieze, qui se cherche encore une identité à Londres, attirent les lumières. En 2013, 70 foires se sont partagé ce marché saturé, consacrant le triomphe de la création la plus débridée. Même dans des segments protégés comme la photographie, les arts décoratifs, voire le dessin, le récent relègue l’incunable. Les nouveaux amateurs se sentent à l’aise dans cette immédiateté. Jamais on n’a autant parlé d’art, dans les magazines, à la télévision, sur l’Internet....

Il y a vingt ans, le marché ne connaissait pas le scandale. Personne n’imaginait voir des policiers débarquer à Drouot ou ses stars passer au banc du tribunal. Nul ne se souciait des tableaux pris aux familles juives ou des statues khmères arrachées des temples. Il y a vingt ans, la contrefaçon amusait. Aujourd’hui, elle donne des cauchemars.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°410 du 28 mars 2014, avec le titre suivant : Le monde de l’ancien passe doucement la main

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