Design - Environnement

Art et développement durable

Par Christian Simenc · Le Journal des Arts

Le 26 mars 2014 - 1156 mots

Plus visible, le design est maintenant entré dans les galeries d’art. Il s’est aussi emparé des enjeux actuels de la production, tournés vers la simplicité d’utilisation et l’écologie

1994-2014, il aura suffi de ce laps de temps pour porter le design au pinacle. La première décennie voit ainsi une montée en puissance du plus grand événement annuel mondial dans le domaine, le Salon du meuble de Milan, doublée d’un développement, en particulier en Europe et aux États-Unis, de galeries spécialisées en design contemporain. La seconde décennie entérine cette reconnaissance. C’est à ce moment, en effet, que s’intensifie le phénomène d’emballement autour du design, surenchère due en partie à son introduction dans les foires d’art contemporain. Après la Fiac (Foire internationale d’art contemporain), à Paris, qui, en 2004 et en pionnière, accueille en ses murs un secteur autonome entièrement dévolu au design, tous les grands salons internationaux suivront : « Design Miami » en 2005 en marge d’Art Basel Miami, « Design Miami/Basel » en 2006 parallèlement à Art Basel, enfin, « Design London » en 2007 en marge de Frieze. Là réside le grand chambardement, la fin d’un design unique, celui d’un produit pensé comme subtil dosage entre forme, fonction et coût, et réalisé en série par l’industrie.

Les répercussions sont immenses et ce design diffusé par les galeries – maladroitement baptisé « art-design » – entre dans un type de marché proche de celui de l’art, donc savamment orchestré par les marchands et par les maisons de ventes. Le 14 octobre 2007, chez Christie’s à Londres, un exemplaire de l’assise Lockheed Lounge conçue en 1986 par l’Australien Marc Newson est adjugé 748 500 livres sterling (1,074 million d’euros), à ce jour encore, le record mondial pour une pièce d’un designer vivant. Toutefois, derrière cette fameuse chaise longue en fibre de verre habillée de plaques d’aluminium et de rivets se dessine un nouveau mode de production.

Minimalisme
Dans les années 1980 déjà, des créateurs, tels ceux réunis ­autour d’Ettore Sottsass au sein du groupe milanais Memphis, avaient revendiqué l’idée que le designer n’était pas uniquement au service de l’industrie, mais se devait également d’explorer d’autres façons de produire et de diffuser. Les années 2000 mettront ce souhait en pratique, réhabilitant par la même occasion, au profit cette fois de petites séries, non pas un artisanat mais des savoir-faire spécifiques. Le processus aboutit à des fabrications fatalement très coûteuses au regard de pièces produites industriellement, mais ouvre le champ des possibles. « La galerie est un lieu d’expérimentation libéré des contraintes de l’industrie », résument les designers Ronan et Erwan Bouroullec.

L’industrie de son côté a, en l’espace de vingt ans, connu moult bouleversements, notamment avec l’apparition de technologies et/ou de matériaux nouveaux. En outre, nombre de tendances nouvelles ont traversé la période. Il en est une, majeure, qui a marqué les esprits : la quête de la simplicité. Après les excès des années 1980 et la complexification à outrance des produits, un certain « minimalisme » est de rigueur dans les années 1990 et 2000. En 2006, en France, la voiture Logan de Renault/Dacia est distinguée par l’Agence pour la promotion de la création industrielle, laquelle apprécie « cette démarche globale originale de “design avec une gomme à la main” où priorité était donnée à l’élimination de tous les éléments qui n’apparaissent pas indispensables ». Dans le milieu de la création, on parle aussitôt de « loganisation » de l’offre. En clair : il s’agit de réduire les choses à l’essentiel, nouvelle doctrine qui conforte certains designers déjà engagés dans cette voie, tels l’Allemand Konstantin Grcic, le Japonais Naoto Fukasawa et les Anglais Sam Hecht, Sébastian Bergne ou Jasper Morrison, dont le leitmotiv n’est autre que : « Tout ce qui est visuellement compliqué me paraît être de l’effort gaspillé. » (in Jasper Morrison, éd. Dis Voir, 1999). La firme japonaise Muji, elle, déploie ses produits à l’économie de forme. Économie de forme encore et simplicité d’utilisation façonnent la réussite d’Apple. Ainsi, à sa sortie à la fin des années 1990, le baladeur iPod n’est ni le plus puissant, ni le plus complet en termes de fonctionnalités, ni le meilleur sur le plan de l’autonomie, ni le moins cher, et pourtant le succès est inouï. Son secret : il est l’un des plus simples à utiliser.

Jusqu’à la « fin de vie » du produit
Certaines sociétés iront jusqu’à inscrire ce désir de simplicité dans leur projet d’entreprise, comme la Néerlandaise Philips qui, en 2005, dévoile une recherche intitulée « Prochaine simplicité ». L’année suivante, le créateur-chercheur en informatique John Maeda publie The Laws of Simplicity (paru en français en 2007 aux éditions Payot sous le titre De la simplicité) et, en parallèle, alimente le blog http://lawsofsimplicity.com/. Dans son ouvrage, cet ancien professeur au Media Laboratory du Massachusetts Institute of Technology, à Cambridge, et directeur, jusqu’à fin 2013, de la Rhode Island School of Design, décline la simplicité en dix « lois », dont la première, clairvoyante : « Soustrais l’évidence, ajoute du sens. » Ajouter du sens, les ­designers s’y emploient, en particulier lorsqu’il s’agit de rendre les objets et leur usage conciliables avec une réduction générale des flux de matières et d’énergie. Car l’un des enjeux essentiels du design actuel est à n’en point douter le développement durable. La réutilisation d’éléments qui composent un objet, son reconditionnement et le recyclage des matières deviennent incontournables. On ne peut plus concevoir un produit sans envisager sa fin de vie. La méthode « Environmental Wheel » de la firme suédoise Ikea tient compte de l’impact du produit à chacune de ces quatre phases de vie : conception, fabrication, utilisation et fin de vie. L’entreprise française Lafuma, elle, met en place en 1999 une politique d’« éco-conception » plus exigeante encore en découpant le cycle de vie d’un produit en sept étapes : conception, choix des matières premières, fabrication, transport, distribution, utilisation, fin de vie. Bref, si, au fil de ces deux dernières décennies, le design est indubitablement devenu plus visible, il s’est assurément trouvé un nouveau défi à sa taille avec le développement durable, pour les vingt prochaines années au moins.

Il y a 20 ans

IKEA III, les ambitions royales du « kit »

Installez-vous confortablement dans un fauteuil Medevi Brunn (4 250 F), allongez vos jambes sur son « repose-pieds » (1 950 F), écrivez sur un secrétaire Osterbybruk (3 200 F)… IKEA vient de lancer une série de copies de meubles « gustaviens ». Même si le style gustavien est fait de simplicité, voire de rusticité, le mariage d’une entreprise ayant assis sa réputation sur des meubles en « kit », à monter soi-même, avec un style royal est plutôt surprenant ! Les fiançailles ont été engagées par un inconditionnel du XVIIIe siècle, le conservateur en chef du Musée national des arts, Lars Sjöberg, qui n’a pas hésité à déclencher une belle polémique dans son pays en unissant patrimoine et entreprise. (…)
Emmanuel Fessy

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°410 du 28 mars 2014, avec le titre suivant : Art et développement durable

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