Surréalisme - Au doigt et à l’œil

Par Henri-François Debailleux · Le Journal des Arts

Le 12 mars 2014 - 755 mots

Avec cette nouvelle série d’œuvres présentées à l’occasion de sa sixième exposition à la galerie Loevenbruck, Philippe Mayaux reste fidèle à ses thèmes liés au cycle de la vie.

PARIS - Au mot « tableautin », le Grand Robert donne la définition suivante : « tableau de petite dimension ». Le dictionnaire indique donc le sens du point de vue de la taille. Et non de celui, qui serait plutôt négatif, de la qualité, selon l’acception, par exemple, de « petite croûte ». Et Robert a (toujours) raison. Car lorsqu’on demande à Philippe Mayaux pourquoi il a fait le choix, depuis de nombreuses années, de peindre des petits formats, il répond avec une ironique bravoure que, « même si le combat est perdu d’avance, c’est pour faire un pied de nez à la concurrence déloyale du cinéma avec ses 24 tableaux par seconde sur des écrans de 300 m2 ».
De même a-t-il souvent répété que proposer une petite toile permet d’imaginer un hors-cadre, un hors-champ, un « hors temps » (du tableau). Et de fait, lorsqu’on regarde les « Catastrophes» peintes sur quelques-unes des toiles récentes présentées à la galerie Loevenbruck, à Paris, on se demande immédiatement ce qu’il advient des bris et des nuages de fumée de cette baraque en train d’exploser dont n’est visible qu’un fragment ; ou d’un incendie qui semble important alors que n’en est montré que le cœur aveuglant. Comme si, à chaque fois, la scène était le résultat d’un zoom, d’un plan serré. Comme si, en référence non masquée à l’œuvre Étant donné de Marcel Duchamp, Mayaux jouait de la lorgnette.

Cela n’a rien d’étonnant de la part d’un artiste qui a toujours eu le culte du trou, de l’oculus. Rien d’étonnant non plus pour cet amateur de la figure et des figures de style, notamment l’oxymore et l’antinomie, que de jouer avec le principe du va-et-vient devant la peinture dans une relation proche d’un « je t’aime moi non plus ». Il incite à se rapprocher de la toile, à nous mettre face à face, nez à nez avec elle pour, simultanément, mettre la peinture à distance. De ce point de vue, Mayaux a toujours eu un œil tourné du côté de Picabia, lequel s’amuse avec l’idée de distanciation.

Installations mécanisées
Ce recul, analytique et ludique, n’est pas non plus sans rappeler la réflexion sur la pratique picturale qu’a mené un Gérard Gasiorowski, précisément dans sa série des Croûtes. Dans un esprit voisin, Philippe Mayaux sait ainsi mettre le doigt sur ce questionnement de la frontière, sur ce fil pouvant faire basculer du bon côté ou de l’autre l’œuvre en question.
Et des doigts, entre aphorismes et allégories, on en découvre dans d’autres pièces puisque, fidèle à sa démarche, Philippe Mayaux présente également ici des machines-sculptures, des installations mécanisées. À l’exemple de ce Sinusoïdons où l’on voit un auriculaire faire une trace sur une couche de sable disposée sur une plaque tournante, trace aussitôt effacée par une barre, comme le fameux dessin d’enfant gommé par la mer, évoqué par Aristote.

Archéologie improbable
D’autres doigts sont également présents dans de gros tubes en verre, sorte de vitrines cylindriques. On y retrouve le goût de Mayaux pour les œuvres à tiroirs et les accumulations surréalistes de matières et d’objets du quotidien, disparates, formant un chaos scrupuleusement ordonné, bric-à-brac de bris et débris divers, ou livrant des bribes plus élaborées, juxtaposées comme les traces d’une archéologie improbable. Entre Éros, à travers les moulages sexués, et Thanatos, avec la figure récurrente de la vanité. S’y lit la thématique du temps, le temps de la peinture, le temps qu’il faut, le temps qu’il fait, le temps qu’il est (les « sculptures horloges »), le temps qui passe. Ce temps et son inéluctable flèche dont il faut rire et se moquer.

À la diversité des œuvres correspond un éventail de prix qui vont de 8 500 euros pour de petites sculptures intitulées « Reproductions », en résine et métal, à 35 000 euros pour le Sinusoïdons. Avec une moyenne de 24 000 euros pour les petits tableaux. Soit une cote parfaitement logique pour un artiste de cette génération (né en 1961, il est passé par la Villa Arson à Nice). En outre, il est soutenu par des collectionneurs fidèles qui ne rateraient pour rien au monde chacune de ses relativement rares expositions, puisque l’artiste travaille lentement. Une sorte de fan-club en quelque sorte, assez atypique dans le milieu de l’art actuel.

Philippe Mayaux

Nombre d’œuvres : 16

Prix : entre 8 500 et 35 000 €

Philippe Mayaux

Jusqu’au 29 mars, Galerie Loevenbruck, 6, rue Jacques-Callot, 75006 Paris
tél. 01 53 10 85 68, www.loevenbruck.com
du mardi au samedi 11h-19h.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°409 du 14 mars 2014, avec le titre suivant : Surréalisme - Au doigt et à l’œil

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