Enseignement

L’école de l’art

Par Christophe Domino · Le Journal des Arts

Le 11 mars 2014 - 713 mots

Des colloques… et un ouvrage fondé sur le témoignage d’artistes-enseignants tels Beuys ou Baldessari.

« Je ne puis enseigner mon art, ni l’art d’une école quelconque, puisque je nie l’enseignement de l’art […] l’art est tout individuel et n’est pour chaque artiste, que le talent résultant de sa propre inspiration et de ses propres études sur la tradition », écrivait Courbet dans son Peut-on enseigner l’art ? (1re éd. 1861). Le déni de Courbet, affirmant l’exigence de « contemporanéité » et l’individualité de l’artiste, s’oppose à l’enseignement d’alors. Il manifeste ainsi une conception neuve de l’art, qu’il défendit en tant que membre du Conseil de la Commune de Paris en 1871, et par son œuvre.

Car toute ambition à la formation à l’art est sous-tendue par une pensée, plus ou moins explicite, de l’art lui-même, et c’est ce qui donne au volume collectif Transmettre l’art, figures et méthodes, quelle histoire ? que publient les Presses du réel un intérêt qui dépasse le monde des écoles d’art. La question s’étend d’ailleurs largement au-delà de celle de l’enseignement pour toucher au problème de la transmission. Ces actes de colloques organisés par l’École supérieure des beaux-arts de Nantes (2010) et la Haute école d’art et de design de Genève (2011) ouvrent la cuisine pédagogique à la parole des artistes, ceux-ci étant loin d’être les derniers concernés : ils sont « profs » par nécessité, mais aussi par choix. D’autant, les éditeurs le signalent dans la préface, que s’est dessiné « un “tournant éducatif” [dans] l’activité artistique dans la première décennie de ce siècle » qui marque, citant ici l’essayiste Irit Rogoff, le « passage d’un certain nombre de questions liées à la recherche, à la production des savoirs, à la pédagogie, des espaces traditionnels de l’éducation artistique aux espaces curatoriaux, centres d’art et musées ».

« Méthode oblique »
L’engagement d’artistes dans la transmission n’a cependant pas attendu le XXIe siècle. Man Ray, John Cage, « professor » Joseph Beuys, Robert Filliou, John Baldassari, Luciano Fabro, Siah Armajani font l’objet d’études sur les formes de leurs pratiques d’enseignement. Si celles-ci, exercées au sein ou non d’institutions, diffèrent par leur contexte propre, pour tous la transmission n’est pas une question séparée de leur œuvre, elle en est même constitutive. À CalArts, la célèbre école d’art californienne, Baldessari engagea dans les années 1970-1980 un rapport non autoritaire qu’il décrit ainsi : « une bonne partie de ma méthode d’enseignement implique de dire les choses de manière oblique. Plutôt que de dire les choses directement, je suggère quelque chose d’une manière très oblique, et parfois les étudiants finissent par penser que c’est leur propre idée. C’est une méthode bien plus efficace que de dire : faites ceci ou cela » (R. Pirenne). À CalArts encore, au début des années 1970, le croisement des théories féministes et de la démarche d’Allan Kaprow dessinent des propositions pédagogiques et des dispositifs ouverts, des « moyens d’expérimenter, d’échanger puis de théoriser individuellement puis collectivement la question de la réception des actions des happenings » (G. Gourbe), qui prolongent ses propres pratiques du happening. Les « visées éducatives de la création permanente de Robert Filliou » relèvent, selon les propres termes de l’artiste fluxus, d’un « non-enseignement », lequel l’a occupé de manière continue durant sa carrière. Cyrille Bret relève que « Filliou a contribué à déplacer le mode de transmission des modèles et des savoir-faire prévalant encore largement à cette époque, vers un apprentissage expérimental de la créativité ».

Des lieux retiennent l’attention, bien moins connus que le Bauhaus ou le Black Mountain College, comme la Ferrer Modern School, à New York, en 1912-1913 avec Man Ray (L. Brogowski), ou le département New Art de l’Icelandic College of Art and Crafts à Reykjavik entre 1974 et 1984 (Æ. Sigurjónsdóttir). Aux artistes de conclure avec une contribution de Victor Burgin sur le doctorat en art, suivie d’entretiens avec Dennis Adams, Silvie Defraoui, Sarkis puis Pierre Joseph qui témoignent de leur formation et de leur travail de professeur. Adams se soucie de ne pas rater un futur Gordon Matta-Clark ou Robert Smithson, quand Sarkis, qui se voit en « bête » d’enseignement, pratique le dialogue permanent. En vingt chapitres, se croisent bon nombre de « figures », dont celle du maître, mais aussi de l’émancipation.

Gustave Courbet, Peut-on enseigner l’art ?, 1990, éd. de L’Échoppe, coll. « Envois », Caen, 18 p., 4,30 €.

Transmettre l’art, Figures et mÉthodes, Quelle histoire ? sous la direction de Christophe Kihm et Valérie Mavridorakis, 2014, éd. Les Presses du réel, Dijon, 382 p., 24 €.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°409 du 14 mars 2014, avec le titre suivant : L’école de l’art

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