Peinture, Thurnauer mise en abyme

Par Pauline Vidal · Le Journal des Arts

Le 11 mars 2014 - 445 mots

À la chapelle de l’Oratoire de Nantes,
la plasticienne livre des jeux de regards vertigineux.

NANTES - Agnès Thurnauer n’en finit pas d’explorer la peinture. Dans son exposition à la chapelle de l’Oratoire du Musée des beaux-arts de Nantes, elle a choisi pour thème le portrait, « car la peinture est un médium qui est presque une personne ». « Quand je peins, j’ai l’impression de parler avec elle, confie-t-elle. Quand un peintre peint un visage, il peint certes un sujet mais aussi la peinture en train de le regarder. » Les deux séries des « Biotope » (2004) et des « Peinture/Modèle » (2011), présentées dos à dos, révèlent cette relation particulièrement intime que l’artiste entretient avec la peinture. Chez elle, pas de frontière entre le corps du peintre et la toile, entre le charnel et le conceptuel. Tout fusionne et se répond. Dans le corps sauvage d’une contorsionniste ou l’œil qui surgit d’une aile-palette, se cachent tout à la fois un autoportrait et une allégorie de la peinture.

Télescopages
Le déploiement des œuvres de l’artiste née 1962 (34 au total, qui s’échelonnent de 1995 à 2014) s’articule autour d’une galerie de onze portraits qu’elle a puisés dans les réserves du musée et accrochés les uns à la suite des autres, dessinant ainsi une ligne des âges de la vie, du jeune enfant de Greuze au vieillard de Picasso, en passant par l’intellectuel de Luc Tuymans. Une manière pour elle de proposer une temporalité libérée de la chronologie de l’histoire de l’art. À l’aide de quelques cimaises, sont ménagées des perspectives permettant des mises en tension permanentes entre les œuvres. De part et d’autre des portraits historiques, trois « tableaux d’histoire » récents d’Agnès Thurnauer, hantés par la peinture de Manet, sont le théâtre de violents collages et télescopages. Les personnages de Suzon, issu d’Un Bar aux Folies-Bergère (1882) ou de Victorine Meurent, autre modèle célèbre de Manet, côtoient des figures venues de territoires et de temps différents comme l’écrivain Michel Houellebecq (Reflexion on reflection, 2011), un réfugié (The Readers, 2012) ou l’artiste elle-même (Exécution de la Peinture, 2011). Cette dernière orchestre de complexes jeux de regards dont certains interpellent le spectateur, l’invitant à affronter cette vertigineuse question de savoir qui regarde qui.

Moment fort de l’exposition, dans le chœur de la chapelle, les mots qui participent depuis longtemps chez Thurnauer à faire cheminer la pensée dans l’espace pictural sont libérés de la toile. Matrice (2014), un ensemble de moules en résine posés au sol sans ordre préétabli et contenant en creux les lettres de l’alphabet, traduit en volume le processus de déambulation mentale constitutif des œuvres de l’artiste. Une déambulation que le spectateur est invité à expérimenter physiquement.

AGNES THURNAUER, NOW WHEN THEN, de Tintoret à Tuymans

Jusqu’au 11 mai, Musée des beaux-arts, chapelle de l’Oratoire, place de l’Oratoire, 44000 Nantes
tél. 02 51 17 45 42, tlj sauf mardi, 10h-18h, jeudi jusqu’à 20h, www.museedesbeauxarts.nantes.fr

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°409 du 14 mars 2014, avec le titre suivant : Peinture, Thurnauer mise en abyme

Tous les articles dans Création

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque