Réalisme socialiste

Fougeron l’humaniste

Par Itzhak Goldberg · Le Journal des Arts

Le 11 mars 2014 - 753 mots

L’œuvre du peintre communiste exposée à Roubaix pose la question épineuse du rapport de l’art et de la politique à travers la sensibilité de son regard sur la société.

ROUBAIX - Heureux sont ceux qui ont le droit d’être exposés à La Piscine. Non seulement, ce musée de Roubaix reste l’un des plus beaux de France, mais en plus, le maître des lieux, Bruno Gaudichon, en conservateur passionné qu’il est, vit une histoire d’amour avec chacun des artistes qu’il expose. André Fougeron (1913-1998) ne fait pas exception à la règle avec cette quasi-rétrospective, accrochée avec une clarté exemplaire. Et, sans doute, il était important de montrer l’œuvre de cet artiste que l’on voit peu en France (paradoxalement, c’est la Tate à Londres qui possède ses travaux les plus importants).
Il faut croire que cette absence signale la difficulté de se positionner face à une production plastique où l’idéologie et l’esthétique s’entrecroisent constamment. Dans son introduction au catalogue, Gaudichon évoque justement « ce récit largement illustré [qui] suit […] comme l’a souhaité Fougeron lui-même, les engagements politiques et esthétiques d’une génération dont le rapport aux images aurait été si bousculé par la destruction des icônes de l’humanisme ». Il ajoute : « placer l’humain au cœur de la représentation de ce monde bouleversé restera toujours le fil conducteur de cet acteur et de ce témoin de son temps ».

Certes, il est difficile de contester une visée aussi noble. Encore faut-il que la qualité esthétique soit à la hauteur de cette ambition. Toute tentative de s’interroger à ce sujet n’est envisageable qu’à une seule condition : éviter la vision monolithique de l’œuvre.
Cette précaution est d’autant plus indispensable quand on connaît le destin de Fougeron et le revirement spectaculaire de sa notoriété artistique. De fait, cet ouvrier métallurgiste qui pratique la peinture en autodidacte devient, dès les années 1940, le champion d’un art soutenu par le Parti communiste qui prône la doctrine du réalisme socialiste. Le prestige de la presse communiste d’après guerre, à laquelle collabore Aragon, pèse dans un débat qui dénigre un formalisme abstrait dénoncé comme une fuite silencieuse face à une réalité sociale environnante. À l’inverse est défendue en ce même lieu une peinture figurative accessible à tous.

Certes, quand on observe certains travaux de cette période (L’Enfant au tabouret [1946], Petite nature morte au fond bleu  [1946]), on remarque les traces des influences de Matisse et surtout de Picasso. Mais ce sont davantage les œuvres traitant des scènes au caractère explicitement social qui dégagent une puissance impressionnante. Ainsi, dans Les Parisiennes au marché (1947-1948), la composition en frise, l’aspect hiératique des personnages créent un effet d’étrangeté qui rappelle la Nouvelle Objectivité. De même, le visage sombre d’un mineur ou les personnages peints dans des poses un peu gauches, présentés ici au côté d’études préparatoires remarquables, ne laissent pas le spectateur insensible (Les Coqueleux, l’ensemble Le Pays des mines, 1950).

Antimoderniste
Si la carrière de Fougeron subit un arrêt brutal en 1953, les raisons de ce changement sont à la fois d’ordre anecdotique et idéologique. À la mort de Staline, les Lettres Françaises publient en « une » son portrait posthume par Picasso. D’une qualité moyenne, esquissée rapidement, l’œuvre choque par la liberté que le peintre a prise face au chef vénérable. Dans une lettre publiée dans L’Humanité, Fougeron désapprouve le traitement qu’en propose son confrère. Ce texte lui sera souvent reproché comme une prise de position antimoderniste, surtout au moment où Aragon modifie sa pensée esthétique. Ce n’est pas une simple coïncidence qu’au Salon d’automne de la même année le poète critique violement l’œuvre phare monumentale de Fougeron, Civilisation Atlantique, qui traite de l’impérialisme américain. Curieusement, par sa structure « éclatée », cette toile annonce à sa manière certains procédés qui seront employés par la Figuration narrative. L’artiste continue par la suite à défendre les causes des victimes (Triptyque de la honte [1958], en référence à la guerre d’Algérie), mais sans retrouver sa notoriété antérieure.

Comment alors placer Fougeron dans l’histoire de l’art ? Le récit de la modernité a fait son choix, ne concédant au peintre qu’un strapontin dans le panthéon artistique. Cependant, face à ces œuvres, on peut se rappeler la phrase d’Ernest Pignon-Ernest, lui-même inspiré par Jean-Luc Godard : « Je ne fais pas des images politiques, je fais politiquement des images. »

André Fougeron

Jusqu’au 18 mai, La Piscine, 23, rue d’Espérance, 59100 Roubaix
tél. 03 20 69 23 60, www.roubaix-lapiscine.com, mardi-vendredi 11h-18h, samedi et dimanche 13h-18h

André Fougeron

Commissaire : Bruno Gaudichon, conservateur en chef

Nombre d’œuvres : 120

En savoir plus
Lire la notice d'ALLOEXPO sur l'exposition « André Fougeron (1913-1998)Voilà qui fait problème vrai »

Légende Photo :
André Fougeron, Les parisiennes au marché, 1947-1948, huile sur toile, 130 x 195 cm, Musée d’Art Moderne, Saint-Etienne. © Photo : Y. Bresson.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°409 du 14 mars 2014, avec le titre suivant : Fougeron l’humaniste

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