Enquête

Les musées au chevet de l’édition d’art

Le salut du livre d’art passe désormais par les coéditions avec des institutions publiques ou privées car le marché, en baisse en 2013, ne suffit plus à financer la création de riches travaux de recherches illustrés

Par Anne-Laure Walter · Le Journal des Arts

Le 11 mars 2014 - 901 mots

Conséquence de l’effondrement des ventes depuis cinq ans, le secteur du livre d’art est en profonde mutation. Seule catégorie à tirer son épingle du jeu, le catalogue d’exposition est l’objet de toutes les convoitises. Attirées par un segment de marché qui a doublé en dix ans, les maisons d’édition recherchent activement des partenariats avec musées et galeries.

La meilleure vente du rayon art en 2013 est Chagall, entre guerre et paix, soit un fascicule souple de 46 pages à 10 euros qui accompagnait l’exposition du Musée du Luxembourg à Paris. C’est assez éloigné de l’image que l’on se fait d’un livre d’art, gros volume cartonné où illustrations et textes dialoguent. Ce secteur éditorial est en profonde mutation depuis cinq ans car les ventes s’effondrent. Alors que près d’un titre sur dix publiés traite d’art, le sujet n’attire plus les foules en librairie. Le public aime toujours la peinture, la photo ou la sculpture – le succès des grandes expositions en témoigne –, mais cet intérêt ne passe plus nécessairement par l’achat d’un livre. Le segment du beau livre (dont près de 40 % des ventes sont des livres d’art) a vu son chiffre d’affaires baisser de 3,5 % en 2013 (1). « En cinq ans, les ventes de livres illustrés ont plongé de 50 %. Nous assistons à une réelle rupture, qui n’a plus rien à voir avec la conjoncture », constate Philippe Monsel, à la tête des Éditions Cercle d’art, créées en 1949 sous l’impulsion de Picasso. « Avant, le livre imprimé était le moyen privilégié pour faire circuler une œuvre. Aujourd’hui, l’image est omniprésente, accessible immédiatement en une recherche Google. »

Catalogue d'exposition
Du coup, les éditeurs traditionnels se sont tournés vers le seul secteur en expansion, le catalogue d’exposition, se livrant une féroce compétition pour coéditer avec les musées. En dix ans, la production muséale a doublé, passant de 309 titres en 2003 à 587 en 2013. « Le succès des expositions traduit le besoin de communier dans l’admiration, analyse Philippe Monsel. L’émotion déjà forte pendant l’exposition se transforme en pulsion d’achat à la sortie, avec le désir de conserver un souvenir. » D’ailleurs, sur les vingt-cinq meilleures ventes du rayon d’art en 2013 (2), seul un titre, Vert : histoire d’une couleur, de Michel Pastoureau (Éditions du Seuil), n’est pas lié à une exposition. Le podium reste occupé par les musées puisque derrière l’album Chagall, entre guerre et paix (50 000 exemplaires soit six fois moins que le Goncourt), se trouvent Braque : l’exposition (22 500 ventes) puis l’album Dalí (22 000). D’ailleurs, depuis l’an passé, le premier éditeur d’art en termes de chiffre d’affaires est un musée. En effet, le département éditions de la Réunion des musées nationaux vient de passer leader, captant 5,3 % du marché et détrônant Taschen (4,8 %) suivi de Flammarion et Hazan (3).

L’image du catalogue a bien évolué et les éditeurs ne se pincent plus le nez lorsqu’il s’agit de se mettre au service d’un musée. Autrefois guide à la visite recensant les images et réunissant les cartels, ce type d’ouvrage s’est mué en riche somme de connaissances pluridisciplinaires. Ce qui lui assure une seconde vie en dehors du point de vente du musée et, parfois, en dehors de la durée de l’exposition. Somogy a ainsi réédité en septembre Les Fables du paysage flamand, huit mois après la fin de l’exposition à Lille le transformant en livre de fonds.
La publication de ce type d’études n’aurait pas été envisageable hors actualité muséale, faute de potentiel commercial. Moins de 1 000 exemplaires de la monographie de Grünewald (éd. Hazan, 2012) se sont écoulés et celle de Paul Klee, attendue depuis six ans, n’a séduit que 500 acheteurs en 2013. De quoi décourager un éditeur, ses auteurs, et braquer un contrôleur de gestion !
Hazan continue mais couple avec des titres à rotation rapide, le temps d’une exposition. Si Gallimard poursuit par souci patrimonial le catalogue raisonné d’Ernest Pignon-Ernest ou celui de Soulages, Flammarion par exemple a arrêté ce type d’ouvrages et axe ses dix créations annuelles sur des titres qui aborde l’art par une thématique plus grand public comme L’histoire de France par les peintres.

Le luxe à la rescousse
Les éditeurs ne peuvent plus compter sur les ventes au public pour équilibrer leurs comptes et doivent préfinancer leurs projets coûteux, en raison des multiples droits et de la fabrication, via des partenariats. L’association avec un musée ou une galerie assure un éclairage médiatique, des facilités d’accès aux images et des pré-achats. « À chaque fois que nous en avons l’opportunité, nous travaillons avec les musées. Cela nous permet de coller à l’actualité et de trouver, par des ventes directes, les moyens de réaliser les ouvrages à la mesure de ce que l’on sait faire », expliquait l’an passé Yvon Girard chez Gallimard, un groupe où LVMH a investi dernièrement. Hermès ou Vuitton viennent ainsi au secours de Saint-Germain-des-Prés. « La mode et le luxe insufflent de l’argent dans le secteur, nous faisons tout pour favoriser ces mécénats en nouant des partenariats avec leurs acteurs, confirme Pascale Le Thorel, présidente du groupe Art au Syndicat national de l’édition. Les financements mixtes pénètrent tous les domaines de la culture, le livre ne doit pas passer à côté. » Un soutien qui pourra aider l’édition d’art à négocier son virage.

Notes

(1) baromètre Livres Hebdo/IC.
(2) données Ipsos pour Livres Hebdo.
(3) données de l’institut GFK.

Légende photo

La librairie-boutique de la RMN au musée du Louvre, Paris. Courtesy RMN © Photo : J.-L. Bertini.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°409 du 14 mars 2014, avec le titre suivant : Les musées au chevet de l’édition d’art

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