Expertise

La liberté (ou non) de l’auteur d’un catalogue raisonné

Par Alexis Fournol (Avocat à la cour) · Le Journal des Arts

Le 26 février 2014 - 896 mots

La Cour de cassation affirme la liberté de l’auteur d’un catalogue raisonné d’y insérer ou non une œuvre.

Le 22 janvier 2014, la Cour de cassation a affiné les contours des obligations pesant à l’encontre d’un auteur de catalogue raisonné, ouvrage établissant et légitimant le corpus complet d’une œuvre ou d’une période délimitée d’un artiste. Les faits, ayant donné lieu à la cassation partielle de l’arrêt de la cour d’appel de Paris du 12 octobre 2012, cristallisaient nombre de problématiques spécifiques au marché de l’art. Ainsi, le propriétaire d’un tableau intitulé Maison Blanche, signé Jean Metzinger, avait confié à un tiers le soin de vendre cette œuvre, héritée de son grand-père. L’acquéreur potentiel conditionnait alors doublement son achat, exigeant tout à la fois un certificat d’authenticité et une inclusion au sein du catalogue raisonné de l’artiste appartenant au groupe de Puteaux. Réfutant l’authenticité de la toile, Madame Bozena Nikiel, titulaire du droit moral de Metzinger et auteur de son catalogue à venir, refusa les deux requêtes du propriétaire. Ce dernier saisit alors la justice afin de voir établir judiciairement l’authenticité de l’œuvre, en vue d’obtenir la réparation du préjudice né de la perte de chance de vendre la toile. Monsieur Perazzone, expert judiciaire désigné, conclut à l’authenticité de l’œuvre, analyse suivie tant par le tribunal de grande instance que par la cour d’appel. Et cela, malgré les nombreuses critiques formulées par la spécialiste de l’artiste, tant sur les compétences de l’expert, que sur la qualité de l’œuvre présentant, selon Madame Nikiel, « plusieurs fautes dans sa composition ». Mais la spécialiste ne rapportait « aucun élément objectif et extrinsèque » à sa thèse, selon la cour.

Si le tribunal avait retenu l’existence d’un préjudice pour le propriétaire, en raison de l’impossibilité de vendre le tableau, la décision de la cour d’appel s’avérait encore plus contraignante à l’encontre de l’auteur du catalogue raisonné et appelait une censure inévitable par la Cour de cassation. En effet, l’arrêt du 12 octobre 2012 condamnait l’experte à payer au propriétaire de l’œuvre 30 000 euros de dommages-intérêts, « sauf par elle à délivrer […] un certificat d’authenticité et un engagement de faire figurer le tableau Maison blanche dans le catalogue raisonné des œuvres de Jean Metzinger ». Bien curieuse et fort contestable décision accordant à l’expert le choix de se dédire publiquement ou de compenser le préjudice né de l’absence d’insertion de l’œuvre dans le catalogue à venir, quand bien même l’œuvre s’avérait judiciairement consacrée comme authentique.

Entre objectivité et liberté d’expression
Au visa de l’article 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme, la Cour de cassation rappelle que « la liberté d’expression est un droit dont l’exercice ne revêt un caractère abusif que dans les cas spécialement déterminés par la loi » et qu’en conséquence, « en statuant ainsi, alors que le refus de l’auteur d’un catalogue raisonné d’y insérer une œuvre, fût-elle authentique, ne peut, à défaut d’un texte spécial, être considéré comme fautif, la cour d’appel a violé le texte susvisé ». La cassation partielle de l’arrêt d’appel s’imposait. En effet, ouvrage de l’esprit, le catalogue raisonné accorde à son auteur une liberté dans le choix de ses propos et des œuvres y figurant ou non. Si, à l’image du travail d’un historien, un tel ouvrage répond à un impératif d’objectivité dès lors qu’il prétend répertorier l’œuvre complète d’un artiste, l’injonction d’insertion judiciaire d’une œuvre authentifiée est encadrée. À cet égard, la Cour de cassation avait déjà eu l’opportunité d’établir un équilibre entre un tel impératif d’objectivité et la liberté d’expression.

Ainsi, à l’occasion de deux arrêts ayant trait au catalogue de Jean-Michel Atlan, l’un en 2008, l’autre en 2011, la Cour avait retenu que seule une insertion judiciaire, indiquée comme telle au sein du catalogue, peut concilier ces deux impératifs. Une telle insertion répond ainsi « à l’impératif d’objectivité requis, sans pour autant impliquer l’adhésion à cette mention de l’auteur de l’ouvrage ou des héritiers du peintre » et s’avère alors « nécessaire et proportionnée au but légitimement poursuivi », au terme de l’arrêt du 1er décembre 2011 de la première chambre civile de la Cour de cassation. Or, la cour d’appel de Paris avait contraint Madame Nikiel à adhérer à une authentification qu’elle réfutait, ou à accepter d’engager sa responsabilité en raison d’une simple déclaration selon laquelle elle n’envisageait pas une telle inclusion. Pour autant, cette simple déclaration ne pouvait donner prise à une sanction, à défaut de toute intention de nuire. La décision est donc cassée et annulée, car elle n’imposait nullement une insertion judiciaire indiquée comme telle, mais au contraire une adhésion pleine et entière de la spécialiste, dont le seul refus éventuel s’avérait dépourvu d’une quelconque velléité blâmable.

Néanmoins, la Cour de cassation ne censure que partiellement l’arrêt de la cour d’appel, consacrant ainsi l’authenticité judiciairement reconnue de l’œuvre litigieuse. La cour d’appel de Versailles, saisie sur renvoi, pourrait ainsi imposer à la spécialiste d’insérer l’œuvre dans le catalogue en préparation, avec mention du caractère judiciaire de cette insertion. Il existe ainsi un véritable dédoublement entre le catalogue et son auteur, en raison de la finalité d’un tel document.

Pierre angulaire du marché de l’art, le catalogue raisonné a une résonance fondamentale sur la psychologie des éventuels acquéreurs. La liberté du cataloguiste s’en fait alors l’écho et sa limitation s’impose parfois, à de strictes conditions. Au-delà, le véritable débat se pose une nouvelle fois sur les notions mêmes d’authenticité et d’expertise au regard d’objets dont les qualités suscitent autant l’engouement que la spéculation.

Légende photo

Attribué à Pierre Choumof, portrait de Jean Metzinger, vers 1912

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°408 du 28 février 2014, avec le titre suivant : La liberté (ou non) de l’auteur d’un catalogue raisonné

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