Mikhael Subotzky et Patrick Waterhouse « Les notions de rêve et de désastre sont indissociables »

Photographes

Par Christine Coste · Le Journal des Arts

Le 26 février 2014 - 729 mots

Mikhael Subotzky et Patrick Waterhouse se sont rencontrés en 2007 au cours d’une résidence à La Fabrica à Trévise (Italie). Immédiatement, le photographe sud-africain (né en 1981 au Cap, Afrique du Sud) et l’artiste anglais (né la même année à Bath, Royaume Uni) se sont entendus et ont eu envie de travailler ensemble sur un projet. Cette occasion s’est présentée quand Mikhael Subotzky, de retour en Afrique du Sud, a déménagé du Cap à Johannesburg et visité Ponte City. De cette « collaboration fructueuse », Mikhael Subotzky dit qu’« elle leur a permis de se nourrir l’un de l’autre et de grandir tous les deux », tout en donnant « de la profondeur au projet », ajoute Patrick Waterhouse.

Être un photographe blanc ou simplement un Blanc, a-t-il été difficile pour travailler avec les habitants de Ponte City ?
Mikhael Subotzky. Oui et non. Non parce que j’ai toujours travaillé dans des environnements mixtes, voire totalement noirs. Oui parce que lorsque nous arrivons en 2008 dans la tour, tout le quartier d’Hillbrow, où est construit Ponte City, est à cette époque un quartier habité à 100 % par des Noirs ; soit une inversion totale de l’idée initiale puisque Ponte, le plus haut point de Johannesburg, avait été conçu pour une élite exclusivement blanche. Il était donc intéressant d’être confronté à cette inversion en tant que Blanc, puisque l’idée de la race ou de la séparation des races, ou de leur nécessaire coexistence, est au cœur de la société sud-africaine. Je ne pouvais et ne peux m’extraire de cela.
Patrick Waterhouse. Nous avons toujours été accueillis avec intérêt et bienveillance. Si certains résidents n’ont pas accepté d’être photographiés, tous sans exception étaient d’accord pour que l’on photographie de leur fenêtre ou de leur porte.

Pour la première fois dans l’itinérance de la présentation de votre travail sur Ponte City, les archives que vous avez répertoriées sont montrées. Leur récolte s’est elle imposée immédiatement ou progressivement ?
M.S. Au départ nous ne pensions pas trouver tout cela. Quand nous avons commencé, la tentative de relancer Ponte City avait misérablement échoué et la moitié de ses habitants avaient été expulsés afin que la tour puisse être rénovée. Le chantier arrêté, nous nous sommes retrouvés face à des appartements saccagés, pillés et à des documents intimes (lettres, photographies, diplômes, livres, revues…) abandonnés sur place qui racontaient beaucoup des anciens habitants de Ponte. Nous n’avions jamais imaginé trouver autant d’intimité fantomatique.

Ponte City nous évoque la cité de La Grande Borne, à Grigny (Essonne), née de l’utopie de l’architecte Émile Aillaud de créer une « cité des enfants » idéale pour les familles et qui rapidement a concentré misère, insécurité et exclusion. Les utopies modernistes architecturales sont-elles vouées à être effrayantes ?
P.W. Toute utopie contient sa dystopie et inversement, toute contre-utopie contient sa propre utopie. Les notions de rêve et de désastre sont indissociables.
M.S. Il est intéressant de replacer la situation du modernisme en Afrique du Sud dans un contexte plus large que le modernisme du XXe siècle, qui est un rêve de partage d’un idéal commun proche d’une idée socialiste, voire communiste, mais qui en Afrique du Sud – et Ponte le représente bien – est un idéal complètement dévié, détourné par les principes de l’apartheid. Ce rêve moderniste était toutefois doublement voué à l’échec. Le système de l’apartheid, qui visait à garantir le pouvoir et le bien-être d’un petit nombre sur le plus grand nombre, pourtant originaire de cette terre, ne pouvait perdurer. Et puis tout rêve comprend une part de chute probable.
Peut-on dire, Mikhael Subotzky, que Ponte City s’inscrit, comme votre série antérieure « Beaufort West », dans la veine des travaux de David Goldblatt et de la Market Photo Workshop (école pionnière de la photographie africaine et engagée que David Goldblatt a fondée en 1989 à Johannesburg) ?
M.S. « Beaufort West » est évidemment un hommage direct à David Goldblatt et à sa série « In Boksburg ». J’ai terminé Beaufort West en 2008, au moment où je commençais le travail sur Ponte City, influencé aussi beaucoup par la série « Jo’Burg » de Guy Tillim sur Johannesburg. Sa vision sombre de la ville et de son centre n’est toutefois pas le Johannesburg que j’ai expérimenté et que j’avais envie d’explorer. Dans Ponte City, on s’aperçoit de l’effet complètement catastrophique des conséquences de l’apartheid et de cette transition qui a été si douloureuse à Johannesburg, encore davantage peut-être qu’ailleurs dans le pays. Mais on voit aussi un nouveau modèle plein d’espoir en train de s’esquisser.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°408 du 28 février 2014, avec le titre suivant : Mikhael Subotzky et Patrick Waterhouse « Les notions de rêve et de désastre sont indissociables »

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