Livre

Graphisme

Apeloig, au pied de la lettre

Par Christian Simenc · Le Journal des Arts

Le 14 janvier 2014 - 875 mots

Dans la rétrospective qu’il consacre à Philippe Apeloig, le Musée des Arts décoratifs démontre l’inventivité du typographe qui séduit le monde de l’art, de la culture et de la mode.

PARIS -  Les lettres de Philippe Apeloig sont tout sauf anonymes. Le graphiste les triture à dessein, y injectant du sens et esquissant des mots avec lesquels il joue à l’envi. En témoigne cette exposition en forme de rétrospective déployée au Musée des Arts décoratifs, à Paris. Depuis l’une de ses premières affiches conçue en 1987 pour une exposition au Musée d’Orsay consacrée à l’architecture de Chicago – œuvre emblématique avec son titre en perspective comme figé par un arrêt sur image – jusqu’à la signalétique du futur musée du Louvre-Abou Dhabi, dont l’ouverture est prévue pour 2015, on suit ainsi son parcours… à la lettre.

D’entrée de jeu, l’homme, né à Paris en 1962, dévoile sa méthode à travers une série d’affiches conçues pour la Cité du livre d’Aix-en-Provence ou pour le centre d’architecture Arc-en-Rêve, à Bordeaux, dont il a disposé, en regard, des dessins préparatoires. Pour une exposition de maquettes issues du Musée de la batellerie de Conflans-Sainte-Honorine (Yvelines), commanditée par l’établissement public Voies navigables de France, Apeloig déforme les lettres horizontalement, puis les dédouble de leurs reflets inversés, de manière à ce qu’elles évoquent des péniches voguant au fil de l’eau. En filigrane apparaît un système de « grilles » sophistiquées, souvent imperceptibles, parfois évidentes, systèmes de division de la page et d’organisation des informations qui articulent lettres et/ou images entre elles, telles les étoiles d’une constellation. Aussi rigoureuses soient-elles, ces « grilles » ne sont pas carcans, mais permettent, au contraire, de révéler « ce qui est maladroit, dépareillé ou discordant », et deviennent plateformes de liberté.

En 1999, pour l’affiche des 10 ans de la pyramide du Louvre, Philippe Apeloig évite d’avoir recours à un énième cliché de l’édifice en verre, et s’inspire d’un croquis de l’architecte Pei pour créer avec des lettres un diagramme en forme de losange, que tout visiteur reconstituera mentalement en volume. Le tour est joué.

Davantage que « le choc des photos », Philippe Apeloig matérialise « le poids des mots ». En 2007, pour commémorer à la fois le centenaire de la naissance de Frida Kahlo et le cinquantième anniversaire de la mort de Diego Rivera, et dire la communion dans la vie comme dans l’art des deux peintres mexicains, le graphiste conçoit une affiche en trois parties, inscrit en haut les lettres « FRID », au centre « AND » et en bas « IEGO ». La dernière lettre du prénom Frida et la première du prénom Diego composent le mot « AND », liant de fait les deux autres mots comme deux existences qui se fondent en une. « [L]a vocation [de la typographie] ne saurait être, à mes yeux, purement informative, réduite à une fonction, explique Apeloig. Je veux dépasser l’immobilité du texte et rendre la typographie spectaculaire, tantôt maladroite, tantôt amusante ou tragique, conceptuelle et sensible à la fois, sensorielle et émotionnelle. Je vois la typographie comme un art. »

Impression de mouvement
En 2006, il revisite le logo du Théâtre du Châtelet, à Paris. Afin de « placer la musique au cœur de l’identité graphique » et « donner à voir la sonorité et le rythme », il découpe le mot « Châ-te-let » en trois syllabes, les tirets autour de la deuxième syllabe suggérant une note tirée d’une partition. Lui qui, un temps, songea à devenir comédien, se fait désormais metteur en scène : « L’espace de la scène est un lieu magique, assure-t-il. Souvent, j’ai pensé qu’une page pouvait être l’équivalent d’un plateau de théâtre sur lequel le graphiste allait agir pour captiver le regard de celui qui la lit de la même façon que le ferait un chorégraphe ou un metteur en scène. Ce qui m’importe est de produire une impression de mouvement dans un espace en deux dimensions, fixe par essence. »

Outre la communication culturelle pour nombre de théâtres et de musées, Philippe Apeloig œuvre aussi pour la presse – dont les magazines parisiens Jardin des modes dans les années 1990, ou Mixte, récemment – et pour l’édition, avec des ouvrages d’artistes (Yan Pei-Ming, James Turrell…) ou les couvertures de livres de poche de la collection « Pavillons » (éd. Robert Laffont). Un « style » qui séduit aujourd’hui également le monde du luxe. Apeloig a, entre autres, modernisé le logo de la maison d’orfèvrerie Puiforcat, filiale du groupe Hermès, pour lequel il a aussi conçu l’affiche de l’édition 2013 du jumping international « Saut Hermès » au Grand Palais, à Paris. Sur fond noir de cavalier et pur-sang stylisés, certains lettrages blancs semblent franchir d’autres lettrages, telles les barrières d’un saut d’obstacles. En un mot, tout est dit.

TYPORAMA, PHILIPPE APELOIG,

jusqu’au 30 mars, Musée des Arts décoratifs, 107, rue de Rivoli, 75001 Paris, tél. 01 44 55 57 50, du mardi au dimanche, 11h-18h. Catalogue, 384 p., 55 €.

Commissaires de l’exposition : Amélie Gastaut, conservatrice au Musée des Arts décoratifs, collection Publicité ; Yannick James, pour le Studio Philippe Apeloig Nombre de pièces : plus de 150

En savoir plus
Lire la notice d'AlloExpo sur l'exposition « Philippe Apeloig. Typorama »

Légende photo

Affiche pour l’exposition « Chicago, naissance d’une métropole, 1877-1922 » au musée d’Orsay, Paris , 1987. Design : Philippe Apeloig.

Affiche « Bateaux sur l’eau, rivières et canaux », pour les Voies Navigables de France (VNF), Armada, Rouen, 2003. Design : Philippe Apeloig.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°405 du 17 janvier 2014, avec le titre suivant : Apeloig, au pied de la lettre

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