Hôtel de Ville

Brassaï, jours tranquilles à Paris

Par Christine Coste · Le Journal des Arts

Le 14 janvier 2014 - 755 mots

Dans une scénographie plus soignée qu’à l’accoutumée, la Mairie de Paris présente, en accès libre, les images du Hongrois revenu dans la capitale vingt ans après son premier séjour d’enfance.

PARIS - Après le Paris de Doisneau (2012), d’Izis (2010) et de Willy Ronis (2005-2006), l’Hôtel de Ville de Paris présente le Paris de Brassaï (1899-1984). Treize ans après la première grande rétrospective que lui consacrèrent en 2000 Alain Sayag et Annick Lionel-Marie au Centre Pompidou, Agnès de Gouvion Saint-Cyr livre ici le récit du photographe hongrois dans la capitale. L’exécutrice testamentaire de la veuve de l’artiste ne propose cependant aucunement une relecture de l’œuvre photographique liée à Paris, et n’inclut encore moins sa pratique de sculptures, dessins et livres édités ou illustrés, évoquée seulement à travers quelques corps de femmes ou de figures sculptées entre 1958 et 1971. L’exposition ne s’inscrit pas davantage dans le propos novateur de l’ouvrage Brassaï, le flâneur nocturne de Sylvie Aubenas et Quentin Bajac (éd. Gallimard, 2012), centré exclusivement sur la production de photographies de Paris la nuit réalisées entre l’hiver 1929 et 1934, riche tant en clichés, maquettes de livres et autres documents inédits qu’en textes analytiques ouvrant à une nouvelle compréhension de ce corpus d’images entrées dans la postérité.

Son positionnement est autre. Il répond à la vocation simplement narrative des expositions photo de la salle Saint-Jean de l’Hôtel de Ville dédiées aux regards légendaires portés sur la capitale ; narration communément littérale, forte du prestige de l’œuvre du photographe évoqué, mais non moins desservie jusqu’à présent par les espaces ingrats de cette salle et les scénographies proposées. Ce qui n’est pas le cas de cette exposition à la mise en espace particulièrement soignée et agréable dans la configuration de son propos. Ce dernier est circonscrit en grande partie aux photographies de l’entre-deux-guerres, autrement dit à ce Paris arpenté de jour comme de nuit durant cette période, et auquel il resta indéfectiblement attaché. Rares sont les clichés datés au-delà des années 1940, hormis la célèbre série « Graffiti » réalisée de 1930 à 1950, à partir des graffitis des murs parisiens, consciencieusement enregistrés, répertoriés et annotés (en 1960 dans son livre Graffiti). S’ajoutent quelques autres photographies relatives en particulier aux différents ateliers parisiens de Picasso.

« Images latentes »
Agnès de Gouvion Saint-Cyr s’intéresse aux liens qui ont construit cet amour, né en premier lieu des émotions ressenties lors du voyage à Paris du jeune Gyula Halász en 1904-1905, à la faveur d’un séjour d’un an de son père, professeur de littérature française à Budapest. Il n’a alors que 4-5 ans, mais il gardera en mémoire les images de ses promenades au jardin du Luxembourg, sur les Grands Boulevards et sur les Champs-Élysées. Le cinéma de Méliès et le cirque du Buffalo Bill installé au pied de la tour Eiffel constitueront d’autres « images latentes », comme il dénommera bien plus tard ses premières photos réalisées à partir de 1929 sur les lieux mêmes arpentés une vingtaine d’années auparavant.
Enfants au jardin du Luxembourg, aux Tuileries ou dans une rue ; élégantes et messieurs en hauts-de-forme des soirées mondaines, des champs de courses ou de restaurants huppés ; illumination de la tour Eiffel et dame en corset froufroutant de chez Maxim’s : les épreuves argentiques d’époque de Brassaï ramènent donc à ce lien. Alignées les unes après les autres, elles s’égrènent en parallèle d’une autre série photographique placée en dessous ; vues anonymes évocatrices du Paris des années 1880-1900 que « le photographe, collectionneur compulsif, s’est attaché à recueillir et à organiser pour réveiller ses sensations », explique Agnès de Gouvion Saint-Cyr.

Des « images latentes » qui résonnent autant en « temps retrouvé » comme le suggère, sans toutefois le développer explicitement et à regret, la suite de l’exposition à travers l’exploration des autres liens que Brassaï développa avec Paris au fil de ses déambulations, rencontres, ouvrages ou commandes, et recherches techniques et artistiques. Paris la nuit, la vie des bars, des hôtels et des maisons closes, le cirque et les amitiés, notamment celle nouée avec Picasso, entraînent surtout dans la poétique naturelle des images de l’artiste.

Ceux qui connaissent l’œuvre doivent donc se contenter du grand plaisir de voir et revoir ses photographies dont certaines sont inédites, de visionner aussi son seul et unique court-métrage, Tant qu’il y aura des bêtes, réalisé au zoo de Vincennes et primé en 1956 au Festival de Cannes. Ce qui est, selon que l’on voit le verre à moitié plein ou à moitié vide, une source de contentement ou d’agacement.

Brassaï, pour l’amour de Paris

Affiche de l'exposition "Brassaï, pour l’amour de Paris", jusqu’au 8 mars, Hôtel de Ville, Salle Saint-Jean, 5, rue Lobau, Paris-4e, www.quefaire.paris.fr/brassai. Catalogue, Brassaï, pour l’amour de Paris, sous la direction d’Agnès de Gouvion Saint-Cyr, éd. Flammarion, 256 p., 35 €.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°405 du 17 janvier 2014, avec le titre suivant : Brassaï, jours tranquilles à Paris

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