Design

Raymond Guidot, Histoire des objets. Chroniques du design industriel

Généalogie de l’objet

Par Christian Simenc · Le Journal des Arts

Le 2 janvier 2014 - 773 mots

L’objet est souvent le fruit d’une époque qui l’a vu naître. Raymond Guidot raconte ces témoignages du mode de vie quotidien de l’homme.

Qui ne connaît la faconde de Raymond Guidot  ? Tel un conteur sous l’arbre à palabres, l’homme sait au mieux narrer les histoires et en particulier celles des objets. Né en 1934 et diplômé ingénieur à l’École nationale supérieure des arts et métiers en 1958, il a d’abord côtoyé de 1961 à 1969, au sein de l’agence Technès, le célèbre designer Roger Tallon, père, entre autres, des Corail et des TGV. La pratique en quelque sorte. Puis, il est passé à la théorie, en devenant ingénieur-conseil au Musée national d’art moderne-Centre de création industrielle du Centre Georges Pompidou, à Paris, où il fût commissaire de nombreuses expositions sur le design. Bref, c’est un domaine qu’il connaît. D’ailleurs, quarante ans plus tard –  soit toute une vie d’études  –, il en est toujours, en France, l’un des plus fins spécialistes.
Il ne faut donc pas bouder l’ouvrage qu’il vient d’écrire sur ledit sujet, bien au contraire, et qui s’intitule tout simplement Histoire des objets. Le moins que l’on puisse dire est que le lecteur, après un avant-propos concis, entre illico dans le vif du sujet. Onze chapitres thématiques – en tout, 96 objets décortiqués – évoquent cette saga du design industriel de manière très chronologique, depuis la révolution industrielle, évidemment, jusqu’aux robots (évidemment aussi  !), à travers ce volet intitulé «  L’Aventure humaine au rendez-vous de la fiction  ».

Première surprise  : la révolution industrielle commence bien plus tôt que l’on ne l’aurait imaginé. Raymond Guidot la situe tout simplement, non pas au XVIIIe  siècle, mais 300 000  ans avant Jésus-Christ, à l’époque du paléolithique inférieur. Objet choisi  : un biface (coup de poing) acheuléen. «  Fait pour être pris en main, il présente une symétrie parfaite qui le rend utilisable par un gaucher comme par un droitier. Outil et arme prolongeant le bras de l’homme, il lui confère un nouveau pouvoir, celui de couper, raconte Raymond Guidot. Depuis la nuit des temps, [il] se présente déjà comme l’exemple emblématique de l’objet-outil  dans lequel la perfection de la forme découle directement de la fonction.  » L’histoire est déroulée ainsi pour chacun des 96  produits sélectionnés et c’est une bonne idée que de présenter systématiquement le contexte socioculturel dans lequel ces objets de la vie quotidienne sont nés.

Une empreinte génétique qui s’enrichit
Dès lors que la production se fait réellement en série, chacun de ces objets se voit alors agrémenté d’informations complémentaires  : le nom du ou des designers qui l’a créé  ; l’entreprise qui l’a fabriqué  ; voire, si réédition il y a, la firme ayant relancé une production. Au fil des pages se déroule, en filigrane, la passionnante évolution des objets. On passe ainsi de la machine à écrire Remington dessinée par Christopher Latham Sholes et Carlos Glidden et produite en 1878 au iMac G4 d’Apple imaginé par le designer anglais Jonathan Ive, en passant par le micro-ordinateur Macintosh (Apple aussi), œuvre de la firme américaine Frogdesign (1984). L’intérêt est le même pour les automobiles (Ford T, 1908  ; 2  CV Citroën, 1937  ; DS 19, 1955  ; etc.) que pour les appareils photo, les téléphones, les machines à coudre ou les luminaires.

Cette collection subjective met sur le devant de la scène de nombreux sièges. La raison ? «  Peu d’objets utilitaires dont la famille a proliféré au long des siècles ont été porteurs tout à la fois des progrès techniques, des effets de style, voire de modes passagères, caractérisant les époques  », estime Guidot. Avec sa feuille de contreplaqué délicatement courbée, le fauteuil Paimio  41 d’Alvar Aalto (1931) dit la technique de l’époque. Idem pour les chaises à pieds arrières en forme d’égale résistance de Jean Prouvé (1934), la Superleggera n°699 en bois et paille de Gio Ponti (1955) ou le fauteuil tout en carbone Light Light d’Alberto Meda, d’un poids de 980  grammes, record absolu de légèreté. Cette dernière pièce est unique, mais sa présence, au milieu de tous ces produits industriels, s’imposerait d’elle-même  : «  Elle procède d’une réflexion qui fut de nature à transcender la routine et se pose en référence  », estime Raymond Guidot. Tout comme l’est, a fortiori, l’impressionnant module lunaire LEM [«  Lunar Excursion Module  »] dessiné par la firme Grumman Aircraft et la Nasa, dont on lit sous la plume enjouée de l’auteur  : «  Cela ressemble à quelque chose qui, d’évidence, n’est pas fini. Une sorte d’amas de caisses en partie empaqueté dans des feuilles de matière brillante et dorée  ». De quoi rétrospectivement, donner la chair de poule  !

Raymond Guidot, Histoire des objets. Chroniques du design industriel,

éditions Hazan, 2013, 576 pages, 350 illustrations, 45 €.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°404 du 3 janvier 2014, avec le titre suivant : Raymond Guidot, <em>Histoire des objets. Chroniques du design industriel</em>

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