PAROLE D'ARTISTE

Laura Lamiel, peintre et plasticienne « Je n’ai jamais cette impression que le visible soit suffisant »

Par Frédéric Bonnet · Le Journal des Arts

Le 2 janvier 2014 - 754 mots

La Galerie de Noisy-le-Sec accueille trois espaces mentaux créés par la peintre et plasticienne Laura Lamiel.

Avec trois «  cellules  » précisément construites et agencées à la Galerie de Noisy-le-Sec, Laura Lamiel soumet à la question la nature du visible et de l’espace.

Comment vous est venue l’idée d’occuper la grande salle avec trois espaces partiellement clos, dont deux sont coupés par des parois vitrées qui semblent créer de faux doubles  ?
J’ai souhaité installer dans cette exposition trois espaces mentaux. Ce sont des pièces qui questionnent des expériences passées, et notamment une exposition en 2000 au Musée de Grenoble qui a été pour moi très importante. J’y avais montré des surfaces réfléchissantes mais installées dans l’espace, elles n’étaient pas murales. Il y avait aussi des photographies. Ces pièces travaillant la lumière dans des espaces très construits étaient les plus radicales.

Dans votre travail semble importante une obsession de l’intérieur, de l’espace clos, et peut-être également du rangement  ?
Ces espaces sont à la fois clos et ouverts, ils ne sont jamais totalement fermés. Ils instaurent une mise en tension d’un vocabulaire bâti, d’un vocabulaire de formes intimes, d’espaces très construits. Il y a dans ces espaces des objets du sensible. Cela tient probablement au fait que je viens de la peinture. Quand je positionne des petites pièces, ce n’est pas du tout l’obsession du rangement, c’est très composé, comme un peintre compose une image. Il s’agit d’une manière d’aborder la picturalité dans l’espace. Je suis donc passée d’un espace bidimensionnel à un espace tridimensionnel. Mais je travaille également sur une ouverture vers la photographie et la mise à distance en effectuant notamment des reports d’images sur des surfaces émaillées cuites à 1  000  degrés.

Ce passage du volume à l’image est ici très visible et de deux manières  : dans les installations elles-mêmes, lorsque vous utilisez des surfaces miroir cela crée par moments des effets d’images, mais vous montrez aussi deux photos en vis-à-vis dans le second espace. Ce déplacement relève-t-il d’une mise en abyme ou d’une autre expérience ?
Effectivement, cette exposition a été importante pour moi car j’ai utilisé des matériaux qui ne m’étaient pas familiers. J’avais cette idée de travailler avec le miroir espion (NDLR  : ou glace sans tain). Cela questionne l’image en effet, car il est utilisé dans les commissariats, les bordels, etc. Mais je ne n’avais pas du tout cette intention de travailler dans le sens du constat. Au départ, je voulais construire un mur de huit mètres avec ce miroir espion, et ainsi installer une seule pièce de façon radicale, mais cela posait trop de problèmes à cause des quatre colonnes inscrites dans cet espace domestique. J’ai toutefois pu le faire dans une cellule installée en position centrale (Qui parle ainsi se disant moi ?, 2013). Je voulais questionner la vue et j’aurais même aimé que les gens puissent parler d’un côté et de l’autre sans se voir. J’ai donc travaillé le visible et l’invisible dans le double, car on peut se demander «  est-ce vraiment un double ou un reflet, qu’est-ce qui se voit, etc.  ?  » Le miroir espion est donc utilisé dans le sens du trouble de la personnalité. Je n’ai jamais cette impression que le visible, tel qu’on le perçoit, soit suffisant.

Ces deux photographies en vis-à-vis, sont-elles quelque part une transposition de vos espaces construits ou bien une autre expérience ? Et pourquoi les avez-vous partiellement recouvertes, l’une avec une feuille de plastique brun, l’autre avec un calque épais ? Car là aussi vous jouez avec la vision…
Je travaille in situ et dans cette grande salle je ne voulais absolument pas qu’il y ait de choses aux murs, je souhaitais que le spectateur puisse tourner et éventuellement rentrer avec précaution dans les espaces. Et j’avais cette salle de l’autre côté où j’ai pensé qu’une extension comme «  rhizomatique  » des grandes pièces pouvait s’installer. Une des photos est une vue de mon ancien atelier. Il y a un recouvrement car j’utilise assez peu la photographie documentaire et que cela permettait de reprendre un peu le concept qui se dit dans les cellules, avec ces miroirs espions, de ce qui est caché ou visible, quel espace cela interpelle, le proche et le lointain. Là ça interroge l’espace de l’atelier, mais avec ce recouvrement et cette transparence. J’aime beaucoup la transparence qui secondarise l’espace.

LAURA LAMIEL, NOYAU DUR ET DOUBLE FOYER,

jusqu’au 8 février 2014, La Galerie, 1, rue Jean Jaurès, 93130 Noisy-le-Sec, tél. 01 49 42 67 17, www.noisylesec.net, tlj sauf dimanche-lundi, 14h-18h, samedi 14h-19h.

Légende photo

Vue de l'exposition « Noyau dur et double foyer » de Laura Lamiel à La Galerie, Centre d'art contemporain de Noisy-le-Sec. © Photo : Cédrick Eymenier.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°404 du 3 janvier 2014, avec le titre suivant : Laura Lamiel, peintre et plasticienne « Je n’ai jamais cette impression que le visible soit suffisant »

Tous les articles dans Création

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque