Surréalisme

Éros à tous les étages

Par Itzhak Goldberg · Le Journal des Arts

Le 2 janvier 2014 - 720 mots

Dépassé le surréalisme ? Selon la jouissive exposition du Centre Pompidou, il reste encore objet d’actualité.

PARIS - Indiscutablement, l’effet est spectaculaire. Le visiteur, plongé immédiatement dans la pénombre (rappel de la scénographie de la fameuse exposition surréaliste de 1938 à la Galerie des beaux-arts à Paris) se trouve face à une avalanche d’œuvres (objets, images, films…). Face ou plutôt parmi elles, car la présentation des travaux s’inspire des principes de l’installation en créant des ensembles qui reconstituent les principales manifestations surréalistes (1933, 1936, 1959…) ou réunissent les travaux d’un artiste majeur.

Ainsi, placés sous cloches, les formidables travaux de Giacometti, sont des «  machines  » absurdes et précises, dont le rôle reste encore à inventer (Pointe à l’œil, Circuit). Capteurs de tensions visuelles, ce sont des mécanismes où le proche côtoie l’inaccessible, l’immédiat croise le lointain, le familier se confond avec le menaçant.

Ailleurs, la Poupée de Bellmer, accompagnée d’autres «  poupées  », trône au milieu d’une salle. Réalisée à échelle humaine à partir d’une ossature de bois recouverte d’une enveloppe d’étoupe, cette poupée «  vivante  » permet d’enclencher des engrenages compliqués qui se plient à tout souhait. Au fond, un extrait du film de Luis García Berlanga, Grandeur nature (1973) est une scène d’une sensualité lancinante, un pas de deux de Michel Piccoli et d’un mannequin artificiel. Tout au long du parcours, de nombreuses projections d’œuvres ou de documents placent le spectateur dans l’ambiance de l’époque. L’appel aux sens est complété par une bande-son de Radovan Ivsic de 1959, des chuchotements et des soupirs sans aucune ambiguïté.

De fait, comme il se doit, l’éros triomphe partout. La dimension esthétique du surréalisme est essentiellement définie par l’intensité  ; la beauté doit être «  convulsive  », «  explosante-fixe  », proche d’une extase amoureuse conçue sur un mode quasi religieux. Mais, l’amour n’est pas vu uniquement comme une occasion de satisfaire la libido dans le plaisir sexuel. Cette libération de l’esprit, qui considère le désir dans sa valeur essentiellement subversive, est une remise en question du contrôle exercé sur l’érotisme par une morale étroite. La découverte de Freud, la pratique pour certains de la psychanalyse, offrent de nouveaux modes d’investigation, permettant de mettre à jour le désir inconscient et d’en faire la composante essentielle de leur art.

Des collages  et assemblages signifiants
Sur le plan plastique, pour échapper aux conventions, la production surréaliste prend ses distances avec la réalité. Mais, à la différence des artistes abstraits, Dali ou Miró, Man Ray ou Brauner, ne font pas l’impasse sur la figuration mais la détournent. Au cœur de cette activité, selon Didier Ottinger, se trouve l’objet. Les collages et les assemblages qui, avec leur capacité métaphorique insoupçonnée démontrent ici leur puissance exceptionnelle, justifient pleinement cette hypothèse.

Certes, cette pratique fut initiée par les cubistes. Toutefois, c’est avec les dadaïstes et surréalistes que la juxtaposition incongrue entre des «  unités de sens détournées  » produit des effets psychiques ou poétiques et offre la matérialisation des obsessions et des rêves.

Soit Pliant de voyage (1916) de Marcel Duchamp. Un objet  (?) couvert d’une housse en plastique sur laquelle est écrit Underwood. Cette marque de machine à écrire américaine évoque immédiatement un autre mot anglais, underwear, sous-vêtement. Quand on connaît l’affection de Duchamp pour le calembour, on devine immédiatement le jeu entre ce terme et le sens du caché que l’artiste met en scène.
La profusion des œuvres proposées n’est pas sans introduire une certaine confusion dans le parcours du visiteur. De même, la volonté de prolonger le surréalisme jusqu’à nos jours est parfois discutable.

Sans doute, les photos des mannequins de Paul McCarthy dégagent une sensation que l’on peut qualifier d’inquiétante familiarité (une traduction désormais admise de l’expression forgée par Freud). On aurait préféré, en revanche, voir d’autres travaux plus riches d’imagination de Mark Dion, plutôt que le courrier qu’il a envoyé à Didier Ottinger, un mail art ou une plaisanterie. Mais, c’est peut-être le prix à payer quand on expose un mouvement qui fit de la pratique subversive son cheval de bataille.

Le Surréalisme et l’objet

Jusqu’au 3 mars, Centre Pompidou, 19 rue Beaubourg, 75004 Paris, tél. 01 44 78 12 33, www.centrepompidou.fr, tlj sauf mardi 11h-21h, catalogue Éditions du Centre Pompidou, 60 pages, 9,90 €.

Commissaire : Didier Ottinger, directeur adjoint du Musée national d’art moderne.
Nombre d’artiste : 45
Nombre d’œuvres : 200

En savoir plus :
Lire la notice d'AlloExpo sur l'exposition « Le Surréalisme et l’Objet »

Légende Photo :
René Magritte, Ceci est un morceau de fromage, 1936 - vers 1963-1964, huile sur Masonite, cadre de bois doré sur chevalet en miniature, plateau à fromage et cloche en verre, 30,5 cm, collection particulière, Londres.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°404 du 3 janvier 2014, avec le titre suivant : Éros à tous les étages

Tous les articles dans Expositions

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque