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Russie : le ministre du passé

MOSCOU / RUSSIE

Le ministre de la Culture russe Vladimir Medinski n'a guère de sympathie pour le monde de la création contemporaine. Il promeut la ligne conservatrice et populiste du Kremlin.

Vladimir Medinski, ministre russe de la culture
Vladimir Medinski, ministre russe de la culture
Photo Zaman

Vladimir Medinski, ministre de la Culture depuis 2012, possède deux qualités évidentes : son franc-parler et sa simplicité. Âgé de 43 ans, il n’affiche ni la sophistication d’une personnalité de la culture, ni l’ennuyeuse langue de bois d’un haut fonctionnaire. S’entretenant avec une poignée de journalistes étrangers, invités pour l’occasion dans un restaurant cossu logé dans la célèbre Galerie Tretyakov, il répond du tac au tac, en avalant une impressionnante quantité de zakouski.

« Oleg Kulik ? Qui c’est ? Jamais entendu ce nom », dit-il à propos du plus célèbre plasticien russe de ces vingt dernières années, aux multiples performances scandaleuses, et qui a notamment mis en scène plusieurs spectacles au théâtre du Châtelet en 2011. Pour lui, ce qu’on appelle communément « l’art contemporain » est un code recouvrant trois catégories : « le barbouillé, le froissé et l’incompréhensible ». Après avoir visité l’exposition principale de la 5e Biennale de Moscou, il confie « des impressions très pénibles ». Rien ne lui a plu, « ou presque ». Magnanime, il poursuit : « mon opinion n’a pas eu d’influence. Nous n’avons pas fait fermer l’exposition ! » « Ce qu’on appelle l’art contemporain ne représente qu’une frange marginale de la création », estime M. Medinski. « Ceux qui peignent aujourd’hui dans le style classique ou impressionniste sont également des artistes contemporains ».

À la tête d’un budget annuel de 2 milliards d’euros (soit 0,6 % du budget russe), il définit sa mission comme un effort de décentralisation de la culture vers l’immense province. Les grandes institutions (Musée de l’Ermitage, Musée Russe, Musée Pouchkine) vont ouvrir des dizaines d’antennes en province, avec des transferts de collection à la clé.

Une vision déconcertante et dépourvue de scrupules Intarissable sur le patrimoine, il est tout aussi disposé à étaler sans complexe des opinions homophobes. Évoquant le milieu culturel, il admet côtoyer de nombreuses personnes « à l’orientation sexuelle non traditionnelle » (pour employer la phraséologie officielle). « Oui, certains artistes le sont [homosexuels]. Mais ce n’est vraiment pas pour cela qu’on les aime. Bien au contraire », insiste-t-il. Il réfute l’opinion largement répandue selon laquelle le compositeur Piotr Tchaïkovski était homosexuel.

« Il n’y a aucune preuve ». Cette étonnante affirmation s’inscrit dans un débat actuel, car un film en préparation sur le compositeur, tourné par l’un des plus brillants réalisateur russe actuel, Kirill Serebrennikov, s’est vu cet été contraint de chercher des financements à l’étranger.

Ne comptez pas sur Medinski pour défendre les créateurs. Le ministre de la Culture apprécie l’art populaire, la chanson et n’hésite pas une seconde avant de citer les films ou feuilletons télévisés russes qui lui ont plu cette année (il s’agit sans surprise des trois films qui ont fait le plus d’entrées en salles). Mais quand on lui demande quels artistes vivants il apprécie particulièrement, il y a un blanc. Il cherche dans sa mémoire. Appelle son adjoint, qui se met à fouiller dans son iPad. Au bout d’un moment, après avoir botté plusieurs fois en touche (il cite des noms d’artistes disparus depuis longtemps), un nom lui revient en mémoire, celui de Maxime Kantor. « C’est l’artiste russe vivant le plus cher », précise le ministre, comme pour se justifier. « Il est exposé au Metropolitan ». Or, ce n’est pas le cas, mais ses peintures d’un style expressionniste sont visibles dans plusieurs musées russes, au Vatican et l’église Saint-Merri à Paris. Son œuvre la plus célèbre Structure de la démocratie, s’est vendue pour 112 000 euros en 2003. C’est loin derrière Ilya Kabakov, figure centrale de l’art contemporain russe, qui a vendu ces dernières années deux œuvres pour respectivement 3 et 4 millions d’euros. Écrivain et polémiste prolixe, Kantor déteste également la démocratie et le libéralisme. Lorsqu’on lui suggère les noms d’Ilya Glazounov et de Vassili Nesterenko, tous deux honorés par Vladimir Poutine, le ministre réagit aussi favorablement. Leurs œuvres récentes représentent des thèmes religieux ou historiques (patriotiques, bien sûr) et ne comportent pas la moindre trace de modernité. Monarchiste déclaré, M. Glazounov était un communiste fervent et décoré jusqu’en 1991. Voilà qui en dit long sur les goûts et les valeurs des dirigeants russes.

Le public moscovite boude le vaste Musée Glazounov, alors qu’il plébiscite massivement les grandes expositions d’art contemporain, et en particulier la récente biennale. Un succès que M. Medinski a bien été forcé d’admettre. « Mais tout de même », s’exclame-t-il, « quel dommage d’avoir gâché tant d’argent ! »

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°404 du 3 janvier 2014, avec le titre suivant : Russie : le ministre du passé

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