Portraits de commissaires

Par Le Journal des Arts · Le Journal des Arts

Le 11 décembre 2013 - 1884 mots

Voici neuf femmes et hommes qui illustrent pertinemment les trois catégories de commissaires d’exposition que sont les commissaires artistes, les indépendants et les institutionnels.

Françoise Huguier _artiste
Chevelure de jais, voix grave et prunelle sombre, Françoise Huguier (née en 1942) a ce que l’on appelle une « présence ». Sans doute est-ce parce qu’elle est revenue de tous les périples. Du Cambodge de son enfance à cette « Afrique fantôme » dont elle a si bien saisi la poésie secrète, en passant par les immensités gelées de Sibérie, la photographe a su capter les failles et les beautés du monde. Point de hasard si elle a créé, en 1994, la première « Biennale de la photographie de Bamako », formidable tremplin pour les jeunes artistes du continent noir. C’est avec la même générosité qu’elle a assuré le commissariat de nombreuses expositions et biennales, comme le Mois de la photographie à Paris en 2008, ou la 2e Biennale internationale de l’image de Luang Prabang (Laos), en 2010. Le Musée du quai Branly lui a confié la direction artistique de Photoquai 2011 : soit la cartographie visuelle d’une trentaine de pays, du Chili à Cuba, de la Biélorussie à la Malaisie…
Mais en 2014, Françoise Huguier passera de l’autre côté du miroir : une rétrospective de son travail se tiendra à la maison européenne de la photographie, à Paris.

Bérénice Geoffroy-Schneiter



Mathieu Mercier _artiste
Si Mathieu Mercier (né en 1970) est surtout connu comme artiste, et même comme l’un des plus reconnus de sa génération (lauréat du prix Marcel Duchamp avec exposition au Centre Pompidou en 2003 puis exposition personnelle au Musée d’art moderne de la Ville de Paris en 2007), il l’est aussi dans la catégorie des artistes-commissaires. Avec notamment Pascal Pinaud, il est l’un de ceux qui en ont organisé le plus, c’est-à-dire une bonne quinzaine depuis 2001. « La plupart des expos [que je vois], j’ai envie de les raccrocher », justifie-t-il ainsi la pratique de cette activité. Précisément, bien plus qu’une approche théorique ou philosophique d’un thème, c’est surtout la mise en espace qui l’intéresse. « J’aime regrouper des œuvres pour optimiser les sujets qui peuvent les rapprocher dans un espace », précise Mathieu Mercier. Ce qu’il a effectivement toujours fait, entre autres à l’occasion de « Dérive » à la Fondation d’entreprise Ricard en 2007, « Courant d’art au rayon de la quincaillerie paresseuse », avec Bernard Marcadé en 2010 au BHV, sur le thème du « ready-made », en référence à Duchamp et son porte-bouteilles, ou dans le cadre de l’exposition monographique qu’il a consacrée au peintre Babou au Frac Aquitaine à Bordeaux début 2013.
Henri-François Debailleux



Aurélien Mole _artiste

Né en 1975, Aurélien Mole a plusieurs casquettes et aime jouer sur cette ambiguïté : artiste et commissaire d’expositions, mais également critique et photographe d’expositions. Diplômé de l’École du Louvre en histoire de la photographie, il a poursuivi son cursus à l’École nationale supérieure de la photographie d’Arles, puis a suivi une formation sur les pratiques de l’exposition à Paris-X-Nanterre. C’est à la suite de ce master qu’il fonde avec d’autres curateurs le collectif Bureau/, en réalisant une première exposition en 2004 intitulée « 35 h ». L’artiste-commissaire reconnaît que la formation curatoriale lui a permis de développer sa pensée critique et ainsi de mieux organiser son travail (en tant qu’artiste), tout comme celui des autres (lorsqu’il est curateur) ; le plus difficile étant de trouver un équilibre lui permettant de poursuivre ces différentes pratiques, de les faire coexister et d’être légitimé dans leur exercice. Pour Aurélien Mole, « le commissariat est une sorte d’interface entre [s]es différentes pratiques qui s’auto-stimulent les unes les autres ». Travaillant rarement seul, il a collaboré au commissariat d’une dizaine d’expositions dont la dernière, avec Étienne Bernard, intitulée « Les référents » (2012-2013) et présentée à la galerie Édouard-Manet à Gennevilliers (Hauts-de-Seine), jouait avec les références à citer pour intégrer une école d’art française.
Stefan Cornic



Jean-Max Colard _indépendant
Le critique d’art du magazine Les Inrocks est tellement passionné par son métier qu’il en rêve la nuit ! Il vient d’ailleurs de publier aux éditions du Mamco (Genève) L’exposition de mes rêves, un recueil de ses songes nocturnes sur l’art contemporain. Jean-Max Colard (né en 1968) est l’archétype du commissaire indépendant, journaliste et enseignant à la fois. Normalien, agrégé et docteur en lettres modernes, il enseigne la littérature à l’université de Lille depuis 2001.
Si ses premiers écrits sur l’art remontent à 1993, c’est dans les années 2000 qu’il se lance dans le « curating », activité considérée par lui comme « une manière de langage », au rythme d’une exposition par an, dans des lieux aussi divers que la Fondation d’entreprise Ricard, la galerie Georges-Philippe & Nathalie Vallois, la Villa Arson à Nice ou pour le festival Le Printemps de septembre à Toulouse en 2009. Admettant qu’il n’est pas possible de vivre du seul commissariat d’exposition, il constate cependant que son activité de journaliste l’aide à mieux pratiquer son métier de curateur. Et puis il aime bien être dans plusieurs endroits à la fois. En 2015, il pilotera une exposition sur Marguerite Duras à la BPI du Centre Pompidou.
Jean-Christophe Castelain



Bernard Marcadé _indépendant
Critique d’art, Bernard Marcadé (né en 1948) est professeur d’histoire de l’art et d’esthétique à l’École nationale supérieure d’arts de Paris-Cergy. Il est aussi commissaire d’exposition indépendant et même un poids lourd en la matière puisque, depuis la première qu’il a organisée en 1983, un hommage à Pierre Loti au Musée Bonnat, à Bayonne, il en affiche une bonne cinquantaine au compteur. Certaines sont restées dans les mémoires comme « Histoires de sculpture » à Cadillac (Gironde), Villeneuve-d’Ascq et Nantes en 1984-1985, ou « Féminin-Masculin, le sexe de l’art », en collaboration avec Marie-Laure Bernadac, au Centre Pompidou en 1995-1996.
Bernard Marcadé a également présenté « L’excès & le retrait » dans le cadre de la Biennale de São Paulo, au Brésil en 1991, et « Becoming » lors de la deuxième Biennale de Kwangju (Corée du Sud), en 1997. Sans oublier qu’il est l’auteur d’une vingtaine de livres parmi lesquels Éloge du mauvais esprit (Éd. de La Différence en 1986), Marcel Duchamp, une vie à crédit (Flammarion, 2007), Fabrice Hyber (Flammarion 2009), 53 œuvres qui (m’)ébranlèrent le monde (Beaux-Arts éditions, 2010).
Henri-François Debailleux



Jérôme Sans _indépendant
Jérôme Sans (né en 1960) est certainement l’un des tout premiers critiques d’art et commissaires d’exposition indépendants à s’être spontanément exporté sur la scène internationale et notamment européenne. Dès le début des années 1980, alors qu’il est encore étudiant, il va créer une association avec Jean de Loisy et faire circuler en Angleterre et en Écosse une exposition réunissant des artistes français. Durant cette décennie, il multiplie les allers-retours entre Paris et New York, où il organise des événements.
Jérôme Sans a été le cofondateur et codirecteur avec Nicolas Bourriaud (de 2002 à 2006) du Palais de Tokyo-Site de création contemporaine à Paris, puis, de mi-2006 à fin 2007, le directeur des programmes du Baltic Center for Contemporary Art à Gateshead (Newcastle, Royaume-Uni). Il a ensuite dirigé l’Ucca (Ullens Center for Contemporary Art) à Pékin (début 2008-début 2012), avant de créer le magazine L’Officiel Art. Fidèle à son esprit nomade et indépendant, il partage aujourd’hui son temps entre Paris – il est le directeur artistique du réaménagement des rives de la Saône à Lyon – et Pékin, où il a créé « Perfect Crossovers », une société de consulting pour médias, marques de luxe et opérateurs du monde de l’art.
Henri-François Debailleux



Claire Le Restif _directrice de centre d’art

Détentrice d’une maîtrise d’histoire de l’art/métiers de l’exposition délivrée par l’université de Rennes, Claire Le Restif (née en 1967), dans un premier temps assistante de directeur artistique, puis commissaire indépendante pendant près de trois ans, dirige depuis 2003 le Crédac, le centre d’art contemporain d’Ivry-sur-Seine (Val-de-Marne). « L’indépendance, travailler en solo dans des lieux différents, c’était passionnant mais précaire, et cela m’a rapprochée de la condition des artistes. » Claire Le Restif, bien que désormais investie dans ses fonctions et responsabilités de directrice, tient donc à conserver, depuis qu’elle est au Crédac, une activité de commissaire d’exposition en collaborant régulièrement avec les artistes dans le cadre d’expositions monographiques (récemment : « Ivry souterrain » par Lara Almarcegui ; « The Searchers », une proposition de Michel Aubry) ou thématiques, comme « Le travail de rivière » (2009) ou « L’homme de Vitruve » (2012). Exploitant le réseau qu’elle tisse depuis plusieurs années avec d’autres centres d’art en France et à l’étranger, Claire Le Restif aime développer des partenariats et des commissariats croisés, comme elle le fit en 2006 avec la Kunsthaus Baselland (Muttenz/Bâle) pour « Midnight Walkers ».
Stefan Cornic



Christine Macel _conservatrice en chef

Tous ceux qui la rencontrent ou qui travaillent avec elle le disent : Christine Macel (née en 1969) impressionne par son énergie. Cette fille d’historienne et d’architecte — qui confesse avoir découvert l’art lors d’une visite à Beaubourg alors qu’elle n’avait que 8 ans – cumule tous les talents : conservatrice en chef au Musée national d’art moderne-Centre Pompidou depuis 2001, où elle dirige le service de la création contemporaine et prospective, elle exerce également de nombreuses activités de façon indépendante (critique d’art signant de brillants essais, enseignement et commissariat de nombreuses expositions). On se souvient ainsi de « Dionysiac », qui explorait en 2005 l’état de transe et de fusion avec la nature chez les artistes ou, dans la même veine, cette remarquable exposition consacrée aux relations entre la danse et les arts visuels aux XXe et XXIe siècles (sobrement intitulée « Danser sa vie »), dont elle a assuré le commissariat aux côtés d’Emma Lavigne. Celle qui souhaite « rester modeste » et « ne pas se substituer à l’objet que l’on montre et aux artistes » a cependant signé des expositions parmi les plus originales et les plus inspirées de ces dernières années.
Bérénice Geoffroy-Schneiter



Éric Troncy, _directeur de centre d’art

Pour Éric Troncy (né en 1965), « le commissaire n’a aujourd’hui plus aucun pouvoir. Avec la domination du marché, il est devenu le type poétique, sorte de nouveau Van Gogh prêt à se couper l’oreille à la première occasion ». On reconnaît bien là le ton ludique et provocateur de celui qui a été le commissaire de nombreuses expositions : il a notamment participé à la Biennale de Lyon « C’est arrivé demain » (avec Xavier Douroux, Franck Gautherot, codirecteurs avec lui du Consortium, Robert Nickas et Anne Pontégnie, en 2003) ou à la première édition de « La force de l’art », en 2006. Il a aussi été l’auteur de « Coollustre », présentée à la Collection Lambert en Avignon (également en 2003). Sa plus récente (2011-2012) et peut-être plus importante exposition est « The Deer » (« Le Cerf »), au centre d’art dijonnais qu’il a intégré en 1996.
Éric Troncy, c’est aussi celui qui, avec humour et beaucoup de sérieux dans ses propos, n’a pas hésité à montrer le photographe David Hamilton (à la Biennale de Lyon 2007) ou le peintre figuratif Bernard Buffet. Ses articles ont été compilés dans différents livres, Le Colonel Moutarde dans la bibliothèque (aux éd. Presses du réel en 2000) et Le Docteur Olive dans la cuisine avec le revolver (Presses du réel, 2002).
Henri-François Debailleux
 
Les articles du dossier : Enquête sur les commissaires d’exposition

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    <li>Les figures du « curateur » <a href=></a></li>
	
	<li>« Parcours d’obstacles du commissaire » <a href=></a></li>
	
	<li>Des commissaires d’exposition « auteurs » ?  <a href=></a></li>
	
	<li>Les intellectuels commissaires <a href=></a></li>
	

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°403 du 13 décembre 2013, avec le titre suivant : Portraits de commissaires

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