Histoire de l’art

Georges Didi-Huberman, L’Album de l’art à l’Époque du « Musée imaginaire »

L’imaginaire et le musée

Par Christophe Domino · Le Journal des Arts

Le 11 décembre 2013 - 699 mots

Dans une compilation de ses conférences, Georges Didi-Huberman explore l’« inconscient culturel » et révise son Malraux.

Alors que la fonction politique du musée comme l’engagement économique public posent question, et pas seulement à Detroit (lire p. 8), alors que le tempo de l’histoire occidentale (l’histoire générale comme l’histoire de l’art) ne saurait plus imposer son universalité, alors que, comme bien d’autres, les collections des Frac (Fonds régionaux d’art contemporain) français sont accessibles en ligne en tout point de la planète (1), sonder la fonction du musée apparaît comme une nécessité institutionnelle, et plus encore : le musée est un bon symptôme de l’état des cultures, outil par excellence de leur réflexivité.

Albums d’images
Repartant de la formule d’André Malraux et de ses écrits, le philosophe et historien de l’art Georges Didi-Huberman a proposé dans le cadre de la Chaire du Louvre une suite de cinq conférences qui sont désormais regroupées en un volume. Celles-ci interrogent notre « inconscient culturel » à travers le double prisme des écrits de Malraux (de La Tentation de l’Occident publié en 1926 aux trois tomes de La Métamorphose des Dieux [1957], sans oublier Le Musée imaginaire dans ses divers états de 1947 à 1965), et d’une réflexion d’aujourd’hui sur le destin des images. 

Le rôle et le statut de l’image photographique dans son rapport à l’échelle et au détail des albums d’images que sont les grands travaux de Malraux, et la fonction de confrontation-comparaison de ces albums, sont réfléchis à l’aune de conceptions marquantes telle celle de Benjamin : « Il ne s’agit pas pour Malraux – contrairement à Walter Benjamin – de constater le “déclin de l’aura” dans les arts en général, mais bien de redonner une aura, photographie aidant, à toutes les créations de l’homme, en sorte que la monnaie gauloise pourra rivaliser avec un tympan médiéval et une statuette en terre cuite avec un colosse de bronze » (p. 51). Ainsi Malraux, entouré de spécialistes historiens, est-il le directeur artistique d’un « immense montage propédeutique où le pouvoir des mots va de pair avec celui, phénoménologique et rhétorique, de la photographie » (p. 68). Un directeur artistique porté par une vision, celle d’un « absolu de l’art universel » rendu accessible par un « savoir absolu » (p. 80), « comme si le génie littéraire, d’être en dialogue direct avec le génie de l’art, pouvait tout sentir et tout voir, mais aussi tout comprendre et tout savoir, tout de suite et pour l’éternité, d’une seule image aperçue dans un musée » (p. 81).

« Métaphysique de l’art »
Didi-Huberman s’attache à cette ambition d’une intuition supérieure, qui prend l’apparence de l’« acte inspiré » et s’appuie sur un sens de l’histoire singulier, ou plutôt sur un déni de l’histoire au profit d’un absolu bien peu moderne, alimenté par la recherche des archétypes, porté par un messianisme littéraire oraculaire qui lui est propre. La figure de Malraux tient dans cette boucle, Malraux à qui l’artiste Dennis Adams, qui l’incarne entre hommage et bouffonnerie dans sa vidéo de 2012 Malraux Shoes, fait dire : « I will be the one. The first minister of culture of France and the only minister of Urgency ».

En croisant la démarche de Malraux et celles d’auteurs et penseurs du premier XXe siècle (Carl Einstein, Blanchot…), Didi-Huberman campe un personnage intellectuel singulier. Il examine ce qui distingue Malraux, comme l’héroïsme, mais aussi les mérites d’une position critique vis-à-vis de l’historicisme des historiens de l’art au profit de l’intemporel, dimension qui cependant, devenue l’« Intemporel » dans la suite de son travail, se fait « métaphysique de l’art dont l’ampleur océanique cache mal le repli conceptuel vers quelques idées trop générales – donc fatalement convenues – sur l’art » (p. 132). Idées auxquelles répondent, en s’opposant à la culture « appropriée » de Malraux, celles d’une culture « restituée » comme le matérialise pour l’auteur le court-métrage Les Statues meurent aussi, d’Alain Resnais et Chris Marker en 1953. Didi-Huberman donne ainsi une précieuse révision de l’œuvre de Malraux.

(1) soit à ce jour pas moins de 24 244 œuvres consultables sur lescollectionsdesfrac.fr/

(2) durée 42 min, acquise par le Fonds national d’art contemporain pour le Frac Aquitaine.

Georges Didi-Huberman, L’Album de l’art à l’Époque du « Musée imaginaire »,

coéd. Hazan/Louvre Éditions, 2013, 208 p., 25 €.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°403 du 13 décembre 2013, avec le titre suivant : Georges Didi-Huberman, <em>L’Album de l’art à l’Époque du « Musée imaginaire »</em>

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