Livre - Politique

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Frédéric Mitterrand, La Récréation

Dans la peau de Frédéric Mitterrand

Par Jean-Christophe Castelain · Le Journal des Arts

Le 10 décembre 2013 - 965 mots

Le récit quotidien de l’ancien ministre de la Culture est un subtil plaidoyer de son bilan et une savoureuse galerie de portraits.

S’il appartient à l’histoire de juger l’action de Frédéric Mitterrand en tant que ministre de la Culture de juin 2009 à mai 2012, le lecteur d’aujourd’hui pourra apprécier ses qualités de chroniqueur des coulisses de la vie politique. Précisons, un chroniqueur très subjectif. Car Frédéric Mitterrand est novice en politique, ce qui lui fit d’ailleurs démarrer sa nouvelle carrière par une bourde monumentale : il révéla lui-même sa nomination.

Loin du discours formaté des hommes politiques, le ministre néophyte conte dans La Récréation anecdote sur anecdote, qui installent une connivence avec le lecteur. On découvre ainsi l’envers de ce qui est communément appelé le « théâtre politique ». Le Premier ministre et le président de l’époque, François Fillon et Nicolas Sarkozy, semblent apprécier l’homme. Il les côtoie et nous dévoile les propos qu’ils tiennent en privé.

Mais au-delà de ces « révélations », cette chronique quotidienne est d’abord un plaidoyer pour son action – ou ce qu’il veut bien en dire. Les observateurs politiques auront la confirmation qu’un saltimbanque débarquant sans programme Rue de Valois doit avant tout mettre en œuvre les directives délicates et difficiles données d’en haut, en l’espèce « Hadopi » ou la « Maison de l’histoire de France ». Ce qui lui revient en propre dans le domaine du patrimoine et des arts plastiques ? Le label « Maisons des Illustres », la nomination de Jean de Loisy à la présidence du Palais de Tokyo, le projet de la « tour Médicis » à Montfermeil – tombé dans les limbes – et la passerelle entre le fort Saint-Jean et le MuCEM à Marseille. L’ex-ministre le reconnaît lui-même (p. 266) : « Le fait est que ne pouvant pas mettre en œuvre un vrai programme de réformes, j’essaie de compenser en étant présent partout et en faisant mille petites choses plus ou moins utiles. » Confirmation avec son agenda. Frédéric Mitterrand ne paraît pas passer beaucoup de temps à travailler ses dossiers ni à s’attarder dans les réunions techniques, mais il sort et se déplace sans cesse : au théâtre, à l’opéra, dans les festivals et musées en régions, dans les territoires d’outre-mer qu’il affectionne tout particulièrement, dans les voyages officiels. Un rythme qui donne le tournis et laisse songeur sur ses capacités physiques et le temps qui lui reste pour la réflexion. Qu’on se rassure, le ministre surbooké ne rate presque jamais le déjeuner dominical avec sa mère et ses frères.

Rue de Valois ou dans ses déplacements, il rencontre naturellement de nombreux acteurs du monde culturel et en livre de délicieux portraits très bien écrits, alertes et plein d’humour. Exemple avec Alain Seban, le président du Centre Pompidou, qui « devrait freiner sur les salles de sport. Il a l’air chargé comme un coureur du Tour de France »…  Ou encore avec Jean-Claude Gaudin (maire de Marseille) : « On passe ensuite à l’essentiel, c’est-à-dire au restaurant. » Parfois, ne résistant pas à un trait d’esprit ou une formule assassine, son verbe dépasse sa pensée. Mais que l’on ne s’y trompe pas, Frédéric Mitterrand dissimule, derrière la fausse spontanéité du journal intime, des confidences soigneusement réécrites après son départ du ministère et à la lumière de ce que sont devenus gens et événements : sur le « printemps arabe » en Tunisie, où il possède une maison ; sur Aurélie Filippetti qui le sollicite pour une faveur ; sur les écoles d’art qu’il sauve [temporairement] de la tutelle du ministère de l’Enseignement supérieur…

Suggérons à l’éditeur de publier lors d’une réédition un index des noms et des sujets permettant de saisir la grille d’écriture du vrai-faux annaliste dont la férocité est inversement proportionnelle aux bonnes relations qu’il veut entretenir dans sa nouvelle vie. Les journalistes ou patrons de grands médias sont souvent épargnés, tandis que les syndicalistes qui lui ont mené la vie dure ou les pigistes de la presse artistique sont criblés de flèches. À l’applaudimètre, c’est son ex-conseiller devenu président de l’Institut national de l’audiovisuel, Mathieu Gallet, qui bénéficie du plus grand nombre de citations élogieuses, tandis qu’Éric de Chassey, qui a pris sa suite à la Villa Médicis, l’agace au plus haut point (au moins 13 commentaires), suivi de Jean-Jacques Aillagon (10 citations) – ils étaient convenus au moment du renouvellement de son mandat à Versailles qu’il ne demanderait pas à dépasser la limite d’âge.

Besoin d’être aimé
Frédéric Mitterrand ne cherche pas à dissimuler l’amertume ressentie dans les rapports, doubles, avec ceux qui viennent le voir : aimables en privé, surtout quand ils réclament un poste, féroces en public. Il a souffert d’être le « traître », le Mitterrand d’un Sarkozy détesté, et raconte avec retenue l’épisode Polanski qui l’a meurtri à jamais. « Frédo », comme il s’appelle parfois à la troisième personne, a une sensibilité à fleur de peau, un besoin presque maladif d’être aimé, y compris de ceux qui lui sont le plus éloignés, telle Marine Le Pen.

À la longue, les flatteries de son cabinet dont il dit ne pas être dupe mais qu’il rapporte bien volontiers, ou les compliments de ses pairs, qu’il restitue minutieusement, deviennent lassants. Comme est assommante cette érotisation systématique des rapports avec ses interlocuteurs masculins. Ce n’est pas parce que « l’hétéro de base [est une] espèce à vrai dire menacée, dont on rencontre encore des spécimens dans la fonction publique » (p. 45), qu’il faut en oublier les convenances. Que dirait-on aujourd’hui d’un ministre homme qui parlerait ainsi de toutes les femmes croisées sur son chemin ? Mais on lui pardonne très vite ses petits péchés de chair et d’esprit car La Récréation nous le rend sympathique, attachant même, et au fond très humain.

Frédéric Mitterrand, La Récréation,

éd. Robert Laffont, 720 p., 24 €.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°403 du 13 décembre 2013, avec le titre suivant : Frédéric Mitterrand, <em>La Récréation</em>

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