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Le goût de l’histoire

Par Frédéric Bonnet · Le Journal des Arts

Le 10 décembre 2013 - 376 mots

Au Magasin, l’artiste lituanien Deimantas Narkevicius relit l’histoire de son pays, de l’après-guerre au monde contemporain.

GRENOBLE - Né en 1964 en Lituanie, Deimantas Narkevicius est un enfant de la guerre froide qui, à l’âge de 25 ans, assista à l’effondrement soudain du bloc communiste. De quoi forger chez un artiste une conscience de l’histoire propice à la lecture des développements d’un monde contemporain marqué par les tiraillements idéologiques. Ces tiraillements sont précisément ce qu’explore à Grenoble le Magasin, en rassemblant six de ses films et deux installations sonores.
Formidable est la manière dont l’artiste relit l’histoire en usant des subtilités du montage et des ressorts de la narration afin de composer des films de prime abord documentaires mais qui, parfois, intègrent des éléments de fiction. Comme dans The Dud Effect (2008), où le spectateur est entraîné dans les coulisses d’une base militaire désaffectée. Ce mélange d’images d’archives et de prises de vue contemporaines, lorsqu’un ancien officier rejoue les gestes à effectuer lors du lancement d’un missile nucléaire qui n’eut pas lieu, installe un décalage temporel. Il instille aussi un doute entre ce qui paraît décrire le réel et ce qui semble relever de la politique-fiction, et quelque crainte.

Ressort nostalgique
Le grain de l’image est toujours palpable sur des films, qu’ils soient tournés en super-8 ou 16 mm ou enregistrés en Betacam, qui introduisent une distance et laissent poindre une nostalgie, particulièrement lorsque remonte à la surface l’idée d’échec et d’illusions perdues. Ainsi, Disappearance of a Tribe (2005) propose un parcours dans un album de famille où la joie de vivre fait place au deuil. L’image passe là, intelligemment, du diaporama à un long déroulé marquant un changement de statut et la possibilité d’une relation à l’histoire collective.

C’est finalement la crédibilité de l’image qui est mise en question par l’artiste, lequel opère des glissements subtils entre mémoire historique et réel contemporain. Books on Shelves and Without Letters (2013) délaisse ainsi le passé pour s’intéresser à un groupe de rock jouant dans une librairie. La double projection semble relever du prétexte pour expérimenter l’image et la possibilité de sa réalisation et de sa diffusion, tout en imposant un étrange sentiment de distance et de proximité conjuguées. Une ambivalence qui partout fait le sel de ce travail.

DEIMANTAS NARKEVICIUS. DA CAPO,

jusqu’au 5 janvier 2014, Magasin-Centre national d’art contemporain, site Bouchayer-Viallet, 8, esplanade Andry-Farcy, 38000 Grenoble, tél. 04 76 21 95 84, www.magasin-cnac.org, tlj sauf lundi-mardi 14h-19h.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°403 du 13 décembre 2013, avec le titre suivant : Le goût de l’histoire

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