Paris

Dans les bras d’Hypnos

Par Maureen Marozeau · Le Journal des Arts

Le 10 décembre 2013 - 729 mots

Le Musée du Luxembourg se penche sur les différentes représentations du rêve chez les peintres de la Renaissance.

PARIS - Chez Michel-Ange, la Nuit prend les traits d’une femme au corps puissant. Les yeux clos, elle veille. Rien d’apaisant ou de réconfortant n’émane de cette image qui introduit « La Renaissance et le rêve » au Musée du Luxembourg. La Nuit, créature au lourd manteau bleu, éclaire la vie d’une lumière nouvelle. Aux dormeurs comme aux veilleurs, elle offre un moment de répit ou fait ressortir des peurs ancestrales. Dortoir sur toiles, la salle suivante n’est pas plus rassurante. L’Enfant Jésus dort du sommeil du juste dans les œuvres de Fontana et Bronzino. Mais chez ce dernier, le charme apparent de la vision du nouveau-né est altéré par l’expression inquiète de saint Jean-Baptiste penché sur son visage. Tandis que le Corrège a peint Vénus et Amour victimes d’une petite mort, dans l’abandon du corps, mais aussi laissés à la merci du premier venu.

Aussi réconfortant soit le sommeil pour le dormeur, la vision de ces personnages profondément assoupis, vulnérables, offerts sur l’autel de Morphée, a quelque chose d’angoissant. Comme l’illustre le personnage allongé de la très belle frise en terre cuite d’Andrea Sansovino (Allégorie du Sommeil ou de la Mort, v. 1490-1491), entre la représentation d’un être endormi et un cadavre, la frontière est ténue. Le commissariat franco-italien de l’exposition, présentée l’été dernier au palais Pitti à Florence, rappelle alors qu’au temps de la Renaissance italienne le sommeil est considéré comme la possibilité pour l’âme de s’élever « vers un principe supérieur et divin ». Après l’extase amoureuse, Vénus est aux anges... Il ouvre aussi un terrain de jeu infini aux fantasmes.

Cette figure du dormeur est le motif principal de l’exposition du Musée du Luxembourg : l’étude des différentes solutions plastiques pour représenter le rêve, et plus largement les visions, en peinture. L’époque est celle que le commissaire Yves Hersant appelle « l’ancien régime » du rêve, bien avant les découvertes apportées par les neurosciences, la banalisation des interprétations psychanalytiques et les délires surréalistes – une première Interprétation des songes paraît à Venise en 1518.

Dualité de l’image
Si le Moyen Âge attribue au rêve une capacité de mise en relation avec l’au-delà, la Renaissance lui ajoute une dimension subjective. Dès la fin du XIIIe siècle, avec Giotto, s’impose un dispositif narratif qui perdure aujourd’hui même dans la bande dessinée et le cinéma, avec la fusion, dans un même cadre, de la réalité et du rêve. Évident, voire éculé pour notre regard, ce procédé n’a pas trouvé meilleur moyen d’« objectiver l’inobjectivable ». Cette dualité de l’image, parfois traduite par le biais d’une mandorle (ancêtre de la bulle en bande dessinée), est un défi que nombre d’artistes ont voulu relever. Ils en livrent une représentation allant de la plus dépouillée – somptueuse Vision de sainte Hélène par Véronèse ! – à la plus complexe : étonnant Andrea del Sarto qui multiplie ad nauseam le personnage de Joseph, interprétant les songes de Pharaon, lui-même endormi sous une tente en marge de la composition.

Dénominateur commun à ces œuvres inspirées par la mythologie ou les récits bibliques, la figure du dormeur, ou du « visionnaire », est une clé indispensable pour décrypter la scène. Dans ses Visions de l’Au-delà (1505-1510), Jérôme Bosch est passé au stade supérieur de la mise en abyme. Les panneaux du polyptyque inspiré de La Vision de Tondal montrent Tondal dans chaque scène de son rêve (le Paradis, l’Enfer, la Chute des damnés, la Montée des bienheureux vers l’empyrée), sans que l’artiste ne se soucie d’y inclure une didascalie représentant son personnage les yeux fermés. Commence alors pour le spectateur le processus d’identification. Que François Ier de Médicis, grand-duc de Toscane fasciné par la nuit et à qui une salle est consacrée, se rassure, l’aurore n’est pas loin.

La Renaissance et le rêve. Bosch, Véronèse, Greco…,

jusqu’au 26 janvier 2014, Musée du Luxembourg, 19, rue de Vaugirard, 75006 Paris, tél. 01 40 13 62 00, www.musee duluxembourg.fr, tlj 10h-19h30, 10h-22h le lundi et le vendredi, 10h-18h les 24 et 31 décembre, fermé le 25 décembre. Catalogue, Réunion des musées nationaux-Grand Palais, 176 p., 35 €.

Commissaires : Alessandro Cecchi, directeur de la Galleria Palatina à Florence ; Yves Hersant, professeur à l’École des hautes études en sciences sociales, à Paris ; Chiara Rabbi-Bernard, historienne de l’art

Légende photo

Paolo Caliari, dit Véronèse, La Vision de sainte Hélène, vers 1570-1575, huile sur toile, 197,5 x 115,6 cm, National Gallery, Londres. © The National Gallery, Londres, Dist. RMN/National Gallery Photographic Department.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°403 du 13 décembre 2013, avec le titre suivant : Dans les bras d’Hypnos

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