XIXe

Nantes lève le voile sur les Néogrecs

Par Maureen Marozeau · Le Journal des Arts

Le 26 novembre 2013 - 751 mots

Emmené par Jean-Léon Gérôme, les Néogrecs ont eu leur moment de gloire dans les années 1850. Le Musée des beaux-arts de Nantes part à leur redécouverte.

NANTES  - Il est des adresses qui sont tout un symbole. Le 27, rue de Fleurus, à Paris, arbore aujourd’hui une plaque rendant hommage à sa plus célèbre occupante, Gertrude Stein. Dans les années 1900 et 1910, cette adresse attirait comme le miel des jeunes artistes sans le sou en quête de reconnaissance et de soutien financier. Savaient-ils seulement que, soixante ans plus tôt, d’autres artistes bohémiens avaient fait de cette ruche leur phalanstère ? Les ateliers du « Chalet » couvaient ces peintres et sculpteurs du groupe des Néogrecs, nés de la formation académique de Paul Delaroche puis de celle de Charles Gleyre et menés tambour battant par un Jean-Léon Gérôme à l’imagination débordante. Ensemble, ces jeunes loups inventèrent une nouvelle vision de la Grèce antique, anecdotique, sensuelle et souvent canaille, pour le plus grand bonheur d’un public bourgeois friand de grivoiserie facile. Tout de suite dénigré par certains artistes ou critiques comme Champfleury et Charles Baudelaire, très vite passé de mode auprès d’un public qui s’en est lassé, le mouvement est une parenthèse intéressante de l’histoire de l’art français du XIXe siècle que le Musée des beaux-arts de Nantes se propose de rouvrir.

Aux commandes scientifiques du projet réalisé en partenariat avec le Musée Ingres de Montauban (1), Cyrille Sciamma, conservateur chargé des collections XIXe à Nantes insiste sur le rôle séminal joué par Le Combat de coqs (1846) de Jean-Léon Gérôme (2) dans la prise d’élan du mouvement néogrec. L’empreinte d’Ingres, dont une version dessinée d’Antiochus et Stratonice ouvre le parcours, est bien repérable dans la facture lisse et le traitement idéalisé des figures. Mais Le Combat de coqs inaugure un nouveau genre : la scène banale, la vie de tous les jours dans la Grèce antique avec, pour le spectateur averti, un sous-texte fortement sexué – Gérôme en fera sa spécialité. Sensibles au succès obtenu par le tableau du tout jeune Gérôme, Henry Pierre Picou, Jean-Louis Hamon, Auguste Toulmouche et les autres s’engouffrent dans la brèche, déterminés à se libérer du sérieux imposé par l’Académie. Soulignons qu’à l’exception de Dominique Papety, aucun d’entre eux n’a mis le pied en Grèce ; aussi la notion de « Grèce antique » est-elle ici à prendre au sens large, une manière comme une autre de parler de ses contemporains…

Un poète parmi les Néogrecs
Opérée avec soin, la sélection des œuvres permet d’observer l’intelligence dont ces peintres  ont fait preuve pour séduire le marché de l’art et les mécènes (avec, à la clé, la décoration de la Villa pompéienne de Jérôme Napoléon par exemple) et surtout la diversité des approches. Gérôme y apparaît comme le plus direct – il va jusqu’à tuer le père en représentant son maître Gleyre sous les traits de son Prisonnier (1861) ; Hamon le plus ésotérique ; Gustave Boulanger le plus caustique – son Ulysse reconnu par sa nourrice Euryclée frise la caricature ; l’Américain Léopold Burthe le plus révérencieux ; Auguste Toulmouche le plus ennuyeux – il n’a pas encore développé l’humour vache de ses anecdotes domestiques mettant en scène des Parisiennes écervelées qu’il débitera au kilomètre quelques années plus tard – et Henri Pierre Picou le plus poétique. Le parcours s’achève sur cette figure de la peinture nantaise dont le musée possède, depuis 1986, un large fonds de dessins donnés par la famille.

L’exposition souhaite ainsi s’inscrire dans la mouvance rendant hommage à la diversité du XIXe siècle, jalonnée par les monographies récemment consacrées à Gérôme et Cabanel. Force est de constater que ce personnage discret et malmené par les événements est le seul à ne pas avoir su évoluer, persévérant dans les scènes mythologiques nacrées jusque dans les années 1880. Or, au bout de dix ans passés à briller de mille feux, la flamme des Néogrecs s’était éteinte. Cette mode fut trop légère pour résister au souffle de la peinture réaliste. Le sérieux était de retour.

(1) L'exposition y sera présentée du 21 février au 18 mai 2014 (2) L'opiniatreté des commissaires a permis au Combat de coqs d'échapper à la sélection "Masculin/Masculin" actuellement au Musée d'Orsay.

La lyre d’ivoire. Henry Pierre Picou (1824-1895) et les Néogrecs,

jusqu’au 26 janvier 2014, Musée des beaux-arts, Chapelle de l’Oratoire, place de l’Oratoire, 44 000 Nantes, tél. 02 51 17 45 01, www.museedesbeauxarts.nantes.fr, tlj sauf mardi 10h-18h, le jeudi 10h-20h. Catalogue, Le Passage (Paris-New York), 304 pages, 32 €.

Commissariat général : Blandine Chavanne, directrice du musée des beaux-arts de Nantes ; Florence Viguier-Dutheil, directrice du Musée Ingres de Montauban

Légende photo

Henry-Pierre Picou, Le Styx, esquisse, vers 1849, huile sur toile, 24,9 x 40,7 cm, Musée des Beaux-Arts, Nantes. © Photo : C. Clos.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°402 du 29 novembre 2013, avec le titre suivant : Nantes lève le voile sur les Néogrecs

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