Histoire de l’art

Le Centre Pompidou accroche le monde

La nouvelle présentation des collections d’art moderne du MNAM bouleverse avec audace la hiérarchie admise jusqu’à présent entre centre et périphérie

Par Itzhak Goldberg · Le Journal des Arts

Le 26 novembre 2013 - 975 mots

Placé sous l’autorité de Catherine Grenier, le nouvel accrochage de la collection permanente d'art moderne au Musée national d’art moderne bouleverse le modèle européocentrique et largement consacré d’une histoire de l’art du XXe siècle. Décloisonnant les frontières nationales, le parcours multiplie les découvertes, tout en rappelant l’apport des cultures extra-occidentales.

PARIS -  Dire que le nouvel accrochage de la collection permanente (?) du Musée national d’art moderne (Mnam), au Centre Pompidou, est un coup d’éclat n’est qu’une aimable litote. On pourrait même croire que Catherine Grenier, déjà responsable de Big Bang, a déclenché cette fois une véritable déflagration. Il est probable que ce geste fort était nécessaire, tant l’histoire de l’art dans la vitrine muséale semblait figée une fois pour toutes. En secouant l’arbre généalogique consacré, en y ajoutant de nouvelles ramifications, on s’éloigne du modèle consacré depuis au moins un demi-siècle.

Pourtant, il suffit de peu pour modifier l’optique habituelle. Ainsi, à l’entrée de l’exposition plusieurs sculptures « totémiques ». Brancusi et Lipchitz, des pionniers reconnus de la modernité, côtoient des artistes actuels moins connus (Alicia Penalba, Augustin Cardenas). Plus importante est la présence d’un véritable totem, un splendide pilier anthropomorphe de Bamiléké (Cameroun), un rappel de la dette partagée par différentes avant-gardes (fauve, cubiste, surréaliste) vis-à-vis des artefacts africains et ibériques. La salle constituée autour de Michel Leiris comme l’« iconostase » formée par les œuvres ayant appartenu à Breton témoignent de la volonté de réparer l’indifférence de l’apport des cultures extra-occidentales à l’art moderne, du déni de l’altérité dans une création qui reste européocentrique.

D’autres ouvertures sont signalées dans le parcours. Ainsi, l’Almanach du Blaue Reiter (1912), un recueil d’essais produits par des peintres et des musiciens sous la direction de Kandinsky et de Franz Marc, s’intéresse à la création des enfants et des aliénés, aux arts naïfs et au folklore. Rousseau et Picasso, une peinture sous verre de Kandinsky et une œuvre anonyme, Delaunay et Jawlensky…, la liste des œuvres sur les cimaises est longue. Ailleurs, le décloisonnement des frontières nationales montre que l’Europe des artistes existait longtemps avant l’Union européenne. Le futurisme, cette mouvance née en Italie (mais dont le manifeste inaugural fut publié dans Le Figaro à Paris) se propage dans tout le continent et trouve des échos dans les travaux des Russes Yakoulov ou Gontacharova. Plus insolite est la « traduction » musicale de ce dynamisme par Valensi et dont le film inédit, Symphonie printanière (1936-1960), est particulièrement frappant.

Une cartographie redessinée de l’art
Ailleurs encore, ce sont les artistes américains de la première partie du siècle, figuratifs ou abstraits, que l’on découvre. Pas totalement inconnus, mais souvent négligés par le récit de la modernité américaine surgissant avec l’École de New-York, les synchronistes (Morgan Russell, Stanton MacDonald-Wright) contribuent à l’évolution de la non-figuration.

Cependant, l’essentiel de l’effort entrepris par ce nouvel accrochage est de donner la visibilité « à une histoire tracée à partir des marges et des périphéries ». Pour ce faire, les organisateurs (des conservateurs, mais aussi de jeunes chercheurs) ont rassemblé une quantité impressionnante de revues d’art du monde entier, qui permettent de constater que la circulation d’idées et d’images n’allait pas toujours dans un sens unique. L’effet est saisissant : des « murs » entiers couverts de documents tracent une nouvelle carte des zones jusque-là sous-représentées au Mnam. De même, il fallait véritablement fouiller dans les collections du musée pour trouver des œuvres condamnées à rester en permanence dans les réserves. Ce n’est pas le moindre mérite de cette présentation que de faire apparaître des travaux en provenance d’Amérique du Sud, d’Afrique, d’Asie ou du Moyen-Orient, aux côtés de ceux qui appartiennent à la tendance prédominante (constructivisme, abstraction après la Seconde Guerre mondiale…).

Certes, des choix peuvent paraître discutables. Sans doute, la singularité de l’anthropophagie et de l’indigénisme, ce mélange étonnant entre style moderne et tradition locale pratiqué avant tout au Brésil, justifie pleinement l’importance que lui accorde le parcours (Monteiro, L’enfant et la bête, 1925). En revanche, certaines de ces œuvres souffrent de la comparaison avec celles, magnifiques, d’un Torres-Garcia, lui aussi latino-américain, mais qui échappe à toute tentation d’une vision stéréotypée (Composition Universelle, 1937). De même, si dans la section des arts décoratifs la sculpture puissante de Chana Orloff (Femme accroupie, 1925) s’impose immédiatement, la mièvrerie que dégage La Baignade d’Angel Zarraga (1921) est moins convaincante. On ne peut s’empêcher de penser que certains de ses travaux figurent là au titre de la démonstration, plus que pour leur qualité esthétique.

Redécouverte d’œuvres majeures
Plus souvent, toutefois, l’exposition offre des (re-)découvertes importantes. Ainsi, le groupe pionnier de l’art cinétique argentin, Madi (Matérialisme Dialectique), déjà formé en 1945, est ici représenté par Gyula Kosice, créateur dont l’inventivité n’a jamais cessé. Dans une autre salle, un bel ensemble de Wifredo Lam permet d’apprécier l’originalité de cet artiste cubain. Plus généralement, le parcours permet de constater que, dans ce demi-siècle fortement marqué par l’abstraction, la figuration n’a pas disparu. L’exemple le plus frappant concerne les œuvres réunies sous l’appellation inventée en 1925 par l’historien allemand Franz Roh, Réalisme Magique (même si ce titre reste vague et convient peu à une œuvre comme celle d’Herbin, Les joueurs de boules n° 2, 1923, avec les personnages aux expressions graves). La richesse de la manifestation qui n’oublie pas la photographie, l’architecture et le design fait que le cheminement est parfois compliqué. Un défaut ? Peut-être, mais aussi la principale qualité de cet accrochage : la possibilité de se perdre et d’être surpris.  Près de la sortie, une phrase résonne fort : « L’Orient a presque été une invention de l’Europe… cet Orient est maintenant en voie de disparition ; il a été, son temps est révolu ». Cette phrase de l’historien Edward Saïd, dans le contexte de la mondialisation, ne parle plus uniquement de l’Orient.

MODERNITÉS PLURIELLES, 1905-1970,

jusqu’à fin juin 2015, Centre Pompidou, 01 44 78 12 33, www.centrepompidou.fr, tlj sauf mardi 11h-21h.

Commissaire générale : Catherine Grenier, directrice adjointe du Mnam
Nombre d’artistes : 400
Nombre d’œuvres : 1 000

Légende photo

Vue du nouvel accrochage du Musée national d'at moderne, avec l'Almanach du Blaue Reiter. © Photo : Hervé Véronèse.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°402 du 29 novembre 2013, avec le titre suivant : Le Centre Pompidou accroche le monde

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