Musée

Catherine Chevillot, directrice du musée Rodin

Par Vincent Noce · Le Journal des Arts

Le 13 novembre 2013 - 1723 mots

PARIS

D’une détermination à toute épreuve, cette \"vestale\" de la sculpture du XIXe siècle est bien décidée à faire avancer ses grandes causes au Musée Rodin.

Petite, les cheveux poivre et sel, bien plantée sur ses pieds, jaugeant son interlocuteur l’air de rien, sourire mutin aux lèvres, lunettes tendance Sécu et pantalons noirs : Catherine Chevillot donne tout de suite un sentiment d’assise. « Solidité » est le mot le plus fréquemment employé par son entourage. Avec fidélité en amitié. Expertise dans le métier. Fermeté dans les convictions.

Désigner un conservateur à la tête d’un grand établissement parisien, connaisseur de la période correspondant aux collections, efficace, prêt à s’effacer pour le service public, est sans conteste devenu une pratique rare en France. L’ancien ministre de la Culture Frédéric Mitterrand a pourtant sacrifié à cette tradition désuète, en choisissant il y a près de deux ans Catherine Chevillot pour succéder à Dominique Viéville à la direction du Musée Rodin.
Aujourd’hui, elle a la tête pleine de poussière de plâtre. Sa principale mission porte sur la restauration de l’hôtel Biron, où le sculpteur installa son atelier en 1908 avant de l’ouvrir au public. Avec 700 000 visiteurs par an, au cœur de Paris, vivant de ses entrées et de la vente de ses fontes, son musée s’inscrit parmi les dix premiers sites fréquentés par les touristes.

Sans fracas, cette fausse silencieuse a contribué à changer le regard porté sur la sculpture. Catherine Chevillot est de cette génération née dans les années 1960, ayant choisi une voie peu considérée, et qui n’a pas oublié combien « il était difficile à l’époque de parler de la sculpture ». Pour celle qui se voit comme une « femme de terrain », l’amour de la matière tient de la révélation précoce. Enfant, elle adorait bricoler avec son père ou son oncle. La typographie fait partie de ses passions, ce qui lui valut cette remarque désolée d’historien de l’art : « Moi, vous savez, ces choses plates… » Pour elle, qui s’est aussi prise de passion pour l’architecture, il s’agissait d’espace et de son appréhension. « Une œuvre, c’est d’abord un objet », lance celle qui déplore la résistance de l’histoire de l’art à l’étude des matériaux, qui devrait en être « un élément constitutif, dans tous ses domaines ».

Province
Catherine Chevillot est née à Dijon, d’un père qui posait des installations réfrigérées et d’une mère originaire d’Ornans, dans le Doubs, dont la famille s’enorgueillit d’avoir eu un représentant à l’enterrement de Gustave Courbet. On peut retrouver sa frimousse parmi les élèves photographiés au collège Les Lentillères par l’artiste Christian Boltanski, avant qu’il n’associe ces images aux boîtes rongées par l’acide sous la lumière vague de ses guirlandes. Mais ce n’est pas la peinture ou le ready-made qui capte notre étudiante. À la faculté de Dijon, elle s’oriente vers l’archéologie, donc l’étude des traces matérielles, « séduite » par le discours savant de Simone Deyts, dont on ne compte plus les études sur les nécropoles gallo-romaines, et de Claude Rolley, qui l’a initiée au classicisme grec. « J’ai eu aussi la chance, raconte-t-elle, d’acquérir des outils fondamentaux en suivant les cours de Serge Lemoine et de Roland Recht, aux tempéraments tellement opposés », lui faisant partager découverte visuelle, approche formaliste et influence de la philosophie allemande. Le premier est devenu son mentor, « un formateur exceptionnel, toujours disponible ». Elle parle aussi de Pierre Georgel, croisé au Musée des beaux-arts de Dijon, mais surtout du trio avec lequel elle va partager la passion de la sculpture à Orsay, Anne Pingeot, Antoinette Le Normand-Romain et Laure de Marjorie. Un quatuor « extrêmement soudé », à l’écart des rivalités habituelles.

En 1986, elle réussit le concours, fière d’être le « seul [candidat] provincial » admis comme conservateur d’État. Les provinciaux étaient alors sérieusement défavorisés, tout juste pouvaient-ils bénéficier de deux ou trois semaines de préparation à Paris. La promotion comprend Benoît Decron, Sophie Jugie, Vincent Pomarède, Sylvie Ramond… « Elle était la meilleure de tous », lance Béatrice Sarrazin, désormais en charge des sculptures de Versailles. « Dotée d’un esprit d’analyse très rapide, restituant toujours sa pensée de manière à être entendue », renchérit Sophie Jugie, devenue directrice du Musée de Dijon. « Depuis, elle a toujours conservé les liens amicaux. Elle dispose d’une étonnante capacité à fédérer. Quand elle voit une œuvre qui pourrait nous intéresser, elle nous la signale. Elle est la première à rédiger des notes sur les œuvres. Elle soutient beaucoup les musées de province – à mon avis, elle n’a pas oublié qu’elle-même était une Dijonnaise. »

À la direction du Musée de Grenoble, Serge Lemoine la prend comme adjointe. Elle se frotte à la muséographie et à l’administration. En 1990, il l’emmène avec lui à Orsay, où elle découvre les joies du parisianisme : « Personne ne m’a jamais demandé ce qui se faisait à Grenoble. C’était la province… Tombouctou, cela aurait été pareil ! » Elle s’est jurée d’en demeurer solidaire, tout en se désolant du recul de l’État en régions sans que les conservateurs puissent user de « moyens de contre-pouvoir ».

À Grenoble et à Dijon, elle venait de consacrer une rétrospective à Emmanuel Frémiet (1824-1910). Sa thèse de DEA consacrée à l’auteur de la Jeanne d’Arc insiste sur son inscription dans l’histoire et la politique. En même temps, elle faisait l’apprentissage de la fonte au XIXe siècle « fascinée par la complexité technique et l’évolution du droit d’auteur », suscités par la propagation des multiples.

Son appétence lui fait rejoindre, en 1999, le Centre de recherche et de restauration des musées de France (C2RMF), où pendant quatre ans elle met en place une filière sculpture. Elle s’émeut encore du moment où, dans la collection de Toulouse, la polychromie d’origine de la Vierge à l’Enfant Notre-Dame de Grasse (au Musée des Augustins) réapparut sous une couche de suie. Elle n’a pas non plus oublié l’état affligeant du musée lapidaire de Laon (Aisne), ni les échecs face à des élus rétifs aux restaurations.

« Énergie redoutable »
En 2003, Catherine Chevillot revient à Orsay, retrouvant Laure de Margerie au centre de documentation et de la recherche avant de devenir conservatrice en chef de la sculpture. Avant la mise en ligne d’une base de données, elle s’est lancée dans l’étude de la collection de médailles, achevée et publiée par Édouard Papet. « Elle est vraiment une tête chercheuse, s’enthousiasme Anne Pingeot, n’hésitant pas devant des sujets ingrats, qui peuvent occuper des générations. » Thierry Dufresne se dit impressionné par sa faculté à combiner la connaissance technique et l’historiographie dans le moindre détail avec la théorie. Il a dirigé sa thèse de doctorat, soutenue en janvier dernier, traitant du Paris des années 1900-1914 comme « creuset de la sculpture ». « Elle y livre une cartographie très précise des ateliers, tout en intégrant la profonde mutation des modes de vie et des idées », pour aborder les évolutions dans la perception de la dimension spatio-temporelle et ses influences dans  la création contemporaine.

« Sur un travail, reprend Anne Pingeot, elle propose de publier un catalogue commun avec le Petit Palais, Bordeaux, Lyon… Elle a un esprit structuré dans la largeur. » Catherine Chevillot aurait pu faire une terrible syndicaliste, estime-t-elle, « une personnalité exceptionnelle, atypique, d’une énergie redoutable… Rodin a beaucoup de chance de l’avoir, elle va faire de grandes choses ». Non sans habileté, puisqu’elle est parvenue à conserver ces amitiés à travers les années à Orsay, tout en maintenant de bonnes relations avec des présidents guerroyant avec la conservation. Elle en est sortie, « à temps » souffle une proche, pour se rendre rue de Varenne.

Vestale
Pour Nathalie Bondil, aujourd’hui directrice du Musée des beaux-arts de Montréal, qui en a été l’élève, elle demeure « un exemple de rectitude ». Une des « vestales de la sculpture du XIXe », qui ont formé « la génération ayant posé les mots de cette page d’histoire ». « Elle a vraiment porté la discipline à bout de bras », confirme Amélie Simier, qui dirige les musées parisiens Bourdelle et Zadkine. « La sculpture », poursuit celle qui vient de ressusciter Dalou des gisants et des morts au Petit Palais, « par définition, c’est lourd, c’est pondéreux, c’est compliqué. Dans ce milieu, il fallait se serrer les coudes, faire preuve de générosité. Catherine, c’est tout cela, avec cette droiture qui en fait une personne très directe. » Peu commode à l’occasion, et même intransigeante, donnant par moments l’impression d’ignorer toute angoisse. « Le revers de sa détermination », concède Béatrice Sarrazin, évoquant en même temps « la joie de vivre, le charme, l’humour et la confiance totale en amitié ». « Parmi les conservateurs, elle est une rareté : une personne simple. Très têtue, énergique, si l’on veut, mais pas autoritaire », ajoute sa directrice générale, Sandrine Arrecgros, qui la voit « dépoussiérer Rodin » avec un enthousiasme communicatif. « Mon rôle, aussi, est de la ralentir un peu », soupire-t-elle.

Ses proches n’ont pas oublié une escapade de trois ans dans le silence d’un monastère carmélite, sur lequel elle n’aime guère s’étendre (« mon séjour à la campagne », dit-elle en souriant). Elle est revenue au monde pourtant. De cette expérience spirituelle, elle en est sortie, dit-elle, encore plus « détachée des jeux de pouvoir, qui ne sont pas la gloire de notre profession ». Avant d’hésiter : « Évidemment, je dis cela, alors que je suis directrice, c’est paradoxal… ».

Amélioration d’un jardin dans un état catastrophique, installation de toilettes et d’un guichet d’entrée dignes, ouverture d’une galerie didactique tactile, développement des actions en direction des publics défavorisés, relance de la maison-atelier de Meudon constituent son programme immédiat. Elle entend bien conduire sans faillir la lutte contre la contrefaçon, si peu prise en compte par les autorités. Sur Rodin, elle aurait tant à dire. La réouverture de l’hôtel Biron en 2015 sera suivie d’une exposition sur son grand œuvre, la Porte de l’Enfer. En 2017, ce sera la consécration au Grand Palais du centième anniversaire de sa mort, cent onze ans après sa donation à la Nation.

Catherine Chevillot en dates

1961 Naissance à Dijon.
1987 Conservateur d’État.
1988 Directrice adjointe du Musée de Grenoble.
1990 Entrée au Musée d’Orsay.
2009 Exposition « Oublier Rodin ? » à Orsay.
2012 Directrice du Musée Rodin.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°401 du 15 novembre 2013, avec le titre suivant : Catherine Chevillot, directrice du musée Rodin

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