Carte blanche

Un Palais livré aux fantômes

Le Palais de Tokyo s’anime au rythme de Petrouchka sous la baguette de Philippe Parreno

Par Frédéric Bonnet · Le Journal des Arts

Le 13 novembre 2013 - 717 mots

Infiltrant avec grâce les espaces du Palais de Tokyo, Philippe Parreno entraîne le spectateur dans une partition intégrale, visuelle et sonore.

PARIS« Quand j’étais coincée dans ces vidéos, j’ai toujours voulu vous rencontrer ». Ainsi s’exprime Ann Lee, le désormais célèbre personnage de manga dont les droits ont été rachetés il y a une dizaine d’années par Pierre Huyghe et Philippe Parreno, qui en ont offert l’usage à plusieurs artistes afin qu’ils lui imaginent des aventures. Ici au Palais de Tokyo, à Paris, ainsi donc s’exprime Ann Lee dans l’exposition consacrée à Philippe Parreno. Celle-ci a, contre toute attente, quitté l’univers lointain, abstrait et contraint de ses aventures électroniques afin de prendre corps. C’est une petite fille bien réelle qui vient à la rencontre du spectateur en un nouvel avatar de sa possible vie imaginée cette fois-ci par Tino Sehgal.

Cette rencontre inattendue et surprenante avec un personnage échappé de sa condition virtuelle est symptomatique des incertitudes parcourant l’exposition dans son entier ; des incertitudes quant au rapport au réel, à ce qui se déroule et à ce que l’œil voit… ou croit voir. Depuis le début de sa carrière, Parreno est en effet le chantre du « No More Reality » (plus de réalité), ainsi que le claironnent des enfants manifestant avec force banderoles dans une vidéo du même nom datant de 1991. Celle-ci est diffusée dans le premier espace sur un gigantesque écran de LED où s’enchaînent cinq films, dont The Writer (2007), qui montre un automate écrivant péniblement à la plume la phrase « What do you believe, your eyes or my words » (Que croyez-vous, vos yeux ou mes mots) ; un écran dont la définition s’estompe au fur et à mesure que l’on s’en approche, jusqu’à rendre l’image presque invisible, ou en tout cas indéfinissable.

Aura fantomatique
Or c’est bien de réalité – potentielle – et de définition dont l’artiste entretient le visiteur. Définition de l’exposition, du regard, du mouvement, de la croyance, du ressenti… Car, partout où il s’arrête, l’œil est pris en défaut de ses propres perceptions tandis que le corps est, sinon entraîné, du moins conduit par un rythme. Une sonorité à la fois très présente et volatile scande en effet l’intégralité du parcours grâce à quelques pianos mécaniques dispersés ici et là. Commandés par un « cerveau » – en fait un autre piano installé au niveau inférieur et relié à une invraisemblable quantité d’ordinateurs –, ils jouent la musique de Petrouchka, le ballet de Stravinsky, adaptée pour l’occasion par le pianiste Mikhaïl Rudy. Petrouchka…, une autre histoire de pantins !

Tout dans cette exposition apparaît conditionné au bon vouloir de quelque force laissant imaginer la présence d’une aura fantomatique animant l’ensemble, à commencer par l’architecture elle-même, puisque l’éclairage des circulations du Palais a été repensé à l’aide d’appliques murales clignotant au rythme des 56 mouvements de Petrouchka, toujours. Des lumières qui brouillent la perception des lieux, dès la banque d’accueil au nouveau design – un peu trop chic au demeurant – bordé par un écran géant lumineux mais vierge, comme s’il servait à laver le regard avant d’entrer.
Plus loin ce sont des affiches phosphorescentes qui n’apparaissent que lorsque l’éclairage décide de faire une pause (Fade to Black, 2013). Un robot leur fait face, programmé pour reproduire l’écriture de l’artiste tout en évoluant sans cesse dans le contenu. Les amateurs l’auront reconnu, puisque la machine joue le rôle central dans le film Marilyn (2012). La voix de l’actrice décrit la suite de l’hôtel Waldorf Astoria, à New York, qu’elle occupa dans les années 1950. On l’entend, on la sent, on la devine. On croit voir sa plume écrire jusqu’à ce que l’élargissement du champ ne révèle un décor où la figure mythique a cédé le terrain au robot écrivant à sa place.

Pas plus que Marylin, cette exposition, où tout est fait d’apparitions et de disparitions, ne semble alors exister véritablement. Elle est devenue un automate, une mécanique, passionnante et terrifiante à la fois, qui en un même mouvement guide et capture. Convoquant sans cesse les fantômes, elle en est peut-être devenue un, elle aussi !

Philippe Parreno, Anywhere, Anywhere out of the world,

jusqu'au 12 janvier, palais de Tokyo, 13, av. du Président-Wilson, 75116 Paris, tél. 01 81 97 35 88, www.palaisdetokyo.com, tlj sauf mardi midi-minuit.

Légende photo

Philippe Parreno, TV Channel, 2013, détail de l’installation, avec à l’écran : The Writer, 2007, vue de l'exposition de Philippe Parreno, « Anywhere, Anywhere, Out Of The World », Palais de Tokyo. Courtesy Pilar Corrias Gallery. ©Photo : Aurélien Mole.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°401 du 15 novembre 2013, avec le titre suivant : Un Palais livré aux fantômes

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