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Emmanuel Latreille : « La Culture doit être sanctuarisée »

Directeur du Frac Languedoc-Roussillon, Emmanuel Latreille préside aussi le Congrès interprofessionnel de l’art contemporain (Cipac)

Par Francine Guillou · Le Journal des Arts

Le 13 novembre 2013 - 982 mots

Emmanuel Latreille est président du Cipac (Congrès interprofessionnel de l’art contemporain) qui fédère 19 associations de l’art contemporain et réunit plus de 1 500 professionnels autour des enjeux des arts plastiques. Il est le directeur du Frac [Fonds régional d’art contemporain] Languedoc-Roussillon depuis 2003.

Quels sont les objectifs du Cipac ?
Le Cipac est d’abord un congrès, le premier ayant eu lieu en 1996 à Tours. Il s’agissait à l’origine d’une mobilisation traduisant une inquiétude forte alors qu’était annoncé un gel des subventions de l’État. Mais il y avait aussi une exaspération face à l’érosion lente des moyens de fonctionnement des structures, alors que de nouvelles missions leur étaient sans cesse demandées. Cet aspect est caractéristique des institutions de la culture depuis quinze ans. À l’issue du 3e congrès, en 2001, nous avons voulu travailler les dossiers dans la durée. Nous nous rendions compte que nos métiers n’étaient pas reconnus, que le secteur était insuffisamment structuré. La Fédération-Cipac est donc née du congrès en regroupant des associations professionnelles déjà existantes, et en mettant en place une plateforme avec une offre de formations spécialisées. Cette nouvelle organisation a permis de traiter des dossiers politiques et juridiques, longs et difficiles pour un secteur fragile. Le congrès que nous tenons à Lyon du 27 au 29 novembre sera le 6e, et restituera les avancées du travail de la Fédération.

Que pensez-vous du projet de loi d’orientation relatif à la création artistique ?
L’ensemble des organisations du secteur ont été sollicitées, dont le Cipac. C’était une promesse du candidat Hollande que la ministre de la Culture, Aurélie Filippetti, met en œuvre avec volontarisme et conviction. Il faudra veiller à ce que les arts plastiques aient toute leur place : la loi traite de la création dans son ensemble. Les débats ont été un peu monopolisés par la question du spectacle vivant, mais, aux côtés des artistes, nous tentons de rééquilibrer les choses pour que les arts plastiques ne soient pas oubliés. Si c’est le cas dans le texte final, ce sera un signe très positif et très concret pour notre secteur.

Quel est l’intérêt d’une convention collective pour le secteur des arts plastiques ?
C’est le cœur du combat depuis la création du Cipac, le noyau qui parviendrait à inscrire dans le droit du travail les métiers du champ des arts visuels et des arts plastiques, avec leurs spécificités. Nous nous sommes rapprochés du Syndeac [Syndicat des entreprises artistiques et culturelles], qui a ouvert ses statuts aux arts plastiques il y a deux ans. Dans le cadre d’une mobilisation commune, nous faisons avancer le volet syndical qui est le nôtre, avec des questionnements et du débat, bien sûr. L’unanimité autour de la nécessité d’une convention collective adaptée au secteur s’est faite. Cette convention protégera les spécificités et les conditions de travail des professionnels, et permettra des mobilités et des passerelles, nécessaires à la vitalité du domaine de l’art contemporain et inexistantes aujourd’hui.

Un cadre de négociation est en cours de constitution, il rassemblera les organisations d’employeurs et les organisations de salariés au sein d’une commission mixte paritaire. Nous n’avons pas une grande habitude de ces choses-là dans un secteur où la structuration professionnelle est finalement une question récente. Cela prendra du temps et devra être soutenu par l’ensemble des responsables politiques concernés, qui sous-estiment encore trop la valeur sociale de ce secteur, et la vitalité économique qu’il génère.

La possible délégation de compétence prévue dans la loi de décentralisation vous inquiète-t-elle ?
Dans l’acte III de la loi de décentralisation, la culture est pour le moment absente du projet. C’est un vrai problème pour nous : nous souhaiterions que soit affirmé pour la culture le principe d’une co-responsabilité de l’État et des collectivités territoriales. La compétence générale qui permet le croisement des financements est la condition positive de la vie artistique dans ce pays. Or l’article qui nous interpelle laisse entendre que l’État déléguerait aux collectivités la responsabilité de nombre d’institutions pour peu qu’elles le souhaitent et le demandent. Cela ressemble à une forme de désengagement, sans projet d’accompagnement. Nous allons interpeller tous les députés sur ce sujet dans les prochains jours.

Quelle est votre opinion sur la cotutelle des écoles d’art ?
La cotutelle est désormais effective, du moins pour les écoles nationales, qui relèvent directement du ministère de la Culture, puisque la loi a été votée. Nous sommes contre le fait que le ministère de la Culture commence ainsi à céder son expertise des établissements artistiques au ministère de l’Enseignement et de la Recherche. Le ministère de la Culture n’est alors plus directement le ministère de référence pour la définition et l’évaluation des enseignements des écoles d’art. En l’occurrence, les écoles d’art développent des spécificités de formation et de recherche qui sont extrêmement fécondes et dont les modalités de suivi ne peuvent être les mêmes que celles d’autres enseignements.

Que vous inspire le projet de loi de finances pour 2014 ?
Pour l’État, le budget 2014 dans son volet culturel est sauvegardé. C’est une bonne nouvelle qui en réalité est trompeuse ; dans le même temps, l’État annonce une régression de ses dotations aux collectivités, lesquelles menacent les institutions avec lesquelles elles travaillent de revoir leur soutien. Si les collectivités, qui représentent plus du deux tiers du financement de la culture, ne sont plus à même de maintenir les subventions, elles répercuteront mécaniquement la baisse de leur budget dans le domaine culturel.

Nous restons inquiets : la décentralisation peut-elle se faire en ignorant la dimension culturelle et l’État comme les collectivités peuvent-ils continuer à soutenir la création conjointement sans diminution ni d’un côté ni de l’autre ? Pour cela, il faut qu’il y ait un consensus autour de la sanctuarisation de la Culture.

Informations pratiques

Le Cipac organise son 6e congrès interprofessionnel de l’art contemporain sur le thème « Nécessités de l’art » les 27, 28 et 29 novembre à Lyon. Rens. : www.cipac.net

Consulter la fiche biographique d'Emmanuel Latreille

Légende Photo :
Emmanuel Latreille © Photo Luc Jennepin

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°401 du 15 novembre 2013, avec le titre suivant : Emmanuel Latreille : « La Culture doit être sanctuarisée »

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