La chronique d'Emmanuel Fessy

Bâtir sur d’autres fondations

Par Emmanuel Fessy · Le Journal des Arts

Le 29 octobre 2013 - 496 mots

La reconnaissance d’un artiste se bâtit grâce à l’action conjuguée de l’institution, du marché et de la critique.

Dans ce triptyque, le panneau central était occupé en France par l’institution – les achats du Fnac, puis ceux des Frac, le développement des musées et centres d’art ; la galerie était reléguée souvent à un second rôle – un artiste pouvait bénéficier d’une large reconnaissance publique en n’étant soutenu que par un nombre restreint de collectionneurs privés ; quant à la critique, hormis Pierre Restany, notre pays n’a pas dégagé de figures décisionnaires comme Clement Greenberg ou David Sylvester, mais les media exerçaient une action d’information et de crible.

Aujourd’hui, le triptyque s’élargit d’un quatrième volet : la fondation privée, qui ambitionne de jouer un rôle actif dans cette reconnaissance. Cette évolution résulte de la loi Aillagon, votée il y a dix ans, qui a instauré dans notre pays le régime fiscal et réglementaire le plus favorable au mécénat. Depuis, ont été créés les fonds de dotation, inspirés des endowments funds américains, qui permettent aux particuliers et aux entreprises d’affecter facilement un patrimoine et les revenus qu’il génère au soutien d’actions d’intérêt général. Comme le souligne Guillaume Cerutti, l’un des architectes de la loi de 2003 lorsqu’il était directeur de cabinet du ministre de la Culture et de la Communication, « il n’en fallait pas moins pour faire évoluer les mentalités et créer une dynamique, dans un pays si peu habitué à accueillir le développement d’initiatives privées au sein de la sphère culturelle (1) ».

2 733 fondations et fonds de dotation étaient enregistrés à la fin 2011, alors qu’ils n’étaient que 1 571 fin 2008. 250 millions d’euros par an sont consacrés à la culture par les fondations et l’Admical (2) a estimé à 494 millions d’euros en 2012 le montant du mécénat des entreprises consacré à ce secteur (26 % du mécénat global). L’objectif premier de la loi Aillagon était patrimonial : l’achat de trésors nationaux que les musées ne pouvaient plus acquérir. Le champ historique a été dépassé par des entreprises et des collectionneurs privés intéressés à l’art contemporain. Au-delà de la croissance des chiffres, c’est l’entrée en scène de nouveaux acteurs qu’il faut relever, de philanthropes qui ne veulent plus diluer leur action dans de grands organismes et préfèrent agir directement en considérant leur don aussi comme un investissement. Loin du chèque en blanc, la gestion est organisée, professionnalisée comme en entreprise.

Après les fondations Cartier, Ricard, Pinault, Hermès, LVMH… la jeune fondation d’entreprise Galeries Lafayette est révélatrice de cette mutation. Elle s’affiche comme « un laboratoire devant être un outil de production, croiser les disciplines, apporter un point de vue différent, produire des idées ». Le mécénat a rebattu les cartes, les brouille parfois quitte à aiguiser de nouvelles concurrences. Il fait émerger d’autres acteurs à la reconnaissance, mais le temps demeurera toujours le critère le plus sûr du jugement.

(1) Mécénat culturel. Pour un acte deux, Guillaume Cerutti, Revue Commentaire, numéro 143. L’auteur propose de nouvelles pistes pour développer le dispositif.
(2) Admical, Association pour le développement du mécénat industriel et commercial

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°400 du 1 novembre 2013, avec le titre suivant : Bâtir sur d’autres fondations

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