Décevante Biennale de Lyon

Une biennale usée à force de récits dilués

Par Frédéric Bonnet · Le Journal des Arts

Le 2 octobre 2013 - 724 mots

Placée sous la direction artistique de l'Islandais Gunnar Kvaran, la 12e Biennale d’art contemporain de Lyon s’intéresse aux nouvelles formes du récit. À quelques exceptions près, l’ensemble pèche par le manque d’originalité et de substance de son concept et le niveau globalement faible des œuvres sélectionnées.

lyon - Sur tous les cartels des œuvres construisant le parcours de la 12e Biennale de Lyon, des fragments de sentences non signés, lisibles avant même les noms des artistes et les titres des œuvres. Des morceaux de récits ? Des bribes de fictions ? Des fragments de réel ? Le catalogue apprendra aux curieux que le commissaire a envoyé à tous les artistes invités une missive leur demandant de lui renvoyer « un texte original écrit à la première personne, qui explique ou du moins éclaire le projet [présenté] à la biennale. » Mais sur les lieux mêmes, il n’est fait nulle mention de l’origine de ces textes dont la dimension narrative oriente fortement la lecture de l’œuvre. La même requête de Gunnar B. Kvaran, par ailleurs directeur du Astrup Fearnley Museet à Oslo, ajoute en outre : « Votre contribution peut être composée à partir de notes de travail, esquisses ou schémas, ou même être purement visuelle. » Le « texte original » requis peut donc être « purement visuel ». Cherchez l’erreur ? D’autant que n’est pas Mallarmé qui veut. De discours il est partout question. Le commissaire s’intéresse aux formes contemporaines de la narration, et par-delà aux manières de repenser les modalités du récit et mécanismes de l’écriture et de la diction avec, pour argument central, que ces nouvelles expressions délaissent volontairement le récit linéaire (aux oubliettes donc roman et documentaire) afin de faire leur lit de la rupture et du collage, sans en passer forcément par les mots. L’ennui c’est que la démonstration qui en est faite est confondante de platitude et d’approximations et mélange à peu près tout, pour finalement ne rien dire. Si ce n’est considérer l’époque comme un amas de Tweets, de micromessages, qui rarement vont au bout d’une idée mais circulent dans un monde totalement déréalisé ; à l’instar du film de Tabor Robak, où supermarché et auberge constitués d’éléments empruntés au réel n’en ont plus du tout la saveur, ou des vidéos de Petra Cortright dans lesquels d’aguicheuses jeunes femmes, pour toute expression, se trémoussent dans des décors synthétiques, sans plus.

Une démonstration peu consistante

Cette obsession de la fragmentation se traduit par un nivellement complet, où la belle installation de films en 3D de Trisha Baga prenant pour argument le changement climatique afin de dériver complètement – l’une des rares œuvres à sauver à la Sucrière, avec le travail de Paulo Nazareth relisant l’esclavage à travers voyages et rencontres, et le film de Paul Chan projetant au sol un théâtre d’ombres comme vu à travers une fenêtre – n’est finalement guère plus lisible que les pitoyables installations d’Ed Fornieles, à base d’éléments de sitcoms recyclés sur Internet, ou de Yang Zhen Zhong qui oblige à monter sur un escabeau afin de laisser le regard traverser plusieurs pans d’architecture avant d’apercevoir le portrait de Mao. Fort heureusement quelques belles propositions surnagent, la plupart regroupées au Musée d’art contemporain, comme la magnifique installation de sculptures de Matthew Ronay, sorte d’arche ouvrant l’accès vers un inconnu, ou le beau film du japonais Hiraki Sawa dans lequel s’entremêlent lentement et délicatement des images que l’on dirait par moments dessinées.

Ainsi va une manifestation qui, en plus d’être bâtie sur un vide conceptuel aussi affligeant qu’amnésique, prend appui sur des œuvres d’un niveau globalement faible, pour beaucoup porteuses de formes éculées. Comme par exemple le court film de Hannah Weinberger, sobrement intitulé Trailer (2013), et qui se présente comme une bande-annonce composée d’éléments disparates, ouvrant pour le spectateur de nombreuses pistes sans véritablement lancer une histoire, soit une interrogation vue des centaines de fois chez les artistes.

Gunnar B. Kvaran semble avoir oublié que depuis les surréalistes au moins, les artistes pratiquent l’allusion et l’écriture indirecte en vue d’établir des récits fragmentés et des scénarios ouverts. Au niveau d’une biennale qui, tout en étant la plus importante de France, entend être l’une de celles qui comptent en Europe, c’est pour le moins gênant.

Biennale de Lyon

Directeur : Thierry Raspail
Commissaire : Gunnar B. Kvaran
Nombre de lieux : 5
Nombre d’artistes : 73

ENTRE-TEMPS… BRUSQUEMENT, ET ENSUITE. 12e BIENNALE DE LYON

Jusqu’au 5 janvier, lieux et horaires divers. www.labiennaledelyon.com. Catalogue éd. Les Presses du réel, 560 p., 28 €.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°398 du 4 octobre 2013, avec le titre suivant : Décevante Biennale de Lyon

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