Politique

Le gré à gré plaît aux musées

Par Marie Potard · Le Journal des Arts

Le 16 septembre 2013 - 1307 mots

PARIS

Ouverte par la loi de 2011, la possibilité d’acquérir des œuvres auprès des maisons de ventes reste une affaire d’opportunités dans lesquelles se sont d’abord engouffrés les grands musées.

Depuis l’entrée en vigueur le 1er septembre 2011 de la loi sur la libéralisation des ventes aux enchères, les maisons de ventes sont en droit d’organiser des ventes de gré au gré (ventes privées) sans passer par le jeu des enchères. Elles peuvent donc, en qualité de mandataire du propriétaire, négocier directement et vendre à l’amiable à des particuliers, à l’État ou aux musées. Si les conditions sont réunies, les musées n’hésitent pas à recourir à ce dispositif.

Lorsqu’un musée souhaite acquérir une œuvre auprès d’une maison de ventes, il en fait part au service des Musées de France de la direction générale des Patrimoines (rattachée au ministère de la Culture). L’œuvre est soit d’emblée mise en vente de gré à gré, soit présentée en vente publique. Dans le second cas, le service des Musées de France peut avertir la maison de ventes de son intention de réaliser une opération de gré à gré, à charge pour elle d’en informer le propriétaire, qui accepte – ou non – de ne pas présenter l’objet aux enchères. Par rapport au droit de préemption, qui voit l’État se substituer au dernier enchérisseur, « la vente de gré à gré permet d’avoir une discussion sur le prix, de le maîtriser et de négocier les délais de paiement. Mais entrer dans le jeu des enchères a aussi ses vertus : on peut obtenir un bien au prix de réserve », explique Claire Chastanier, adjointe au sous-directeur chargé des collections au service des Musées de France.

Anne Dion, conservatrice en chef du département des Objets d’art du Musée du Louvre, estime que « la vente de gré à gré donne plus de souplesse et permet de contourner les aléas d’une vente publique ». Par ailleurs, ce mode de transaction autorise l’État (ce n’est pas une obligation) à faire financer l’acquisition par le biais du dispositif fiscal de l’article 238 bis-0A du Code général des impôts, qui prévoit une défiscalisation de 90 % pour les entreprises mécènes – un dispositif inapplicable en vente publique puisqu’il nécessite un accord préalable sur le prix entre le propriétaire et l’État. La vente de gré à gré augmente alors les chances du musée d’acquérir le bien, mais pour sa mise en œuvre, le bien convoité doit avoir préalablement été qualifié de « trésor national » et par conséquent avoir fait l’objet d’un refus de délivrance d’un certificat d’exportation. Ce type de transaction est également prévu pour les œuvres présentant un intérêt patrimonial majeur.

Le Louvre et Cluny en précurseurs
Le Musée du Louvre et le Musée de Cluny ont figuré parmi les premiers à avoir acheté en ventes privées, puisque, dès septembre 2011, ils ont acquis quatre œuvres considérées « trésor national », issues de la collection Jean-Joseph Marquet de Vasselot mise en vente aux enchères deux mois plus tard. L’acquisition portait, pour le Louvre, sur une paire d’Apôtres en bronze doré (XIIe siècle) et un Christ à la colonne en ivoire sculpté (vers 1300), et, pour Cluny, sur un élément d’une croix de procession en cuivre. Le Musée d’Orsay a usé de la procédure en avril 2011, achetant auprès de Sotheby’s Le Cercle de la rue Royale, de James Tissot (1868), reconnu trésor national. Puis, en décembre, le Musée du Louvre a acquis par l’intermédiaire de Sotheby’s une paire de terrines couvertes en argent par Robert-Joseph Auguste, vers 1780 (service de Georges III).

En 2012, Christie’s a vendu au Musée de Cluny un autre trésor national de la collection Marquet de Vasselot, une plaque en ivoire représentant les chefs de douze tribus d’Israël (XIIe). En mars, c’est Artcurial qui a été mandatée pour la vente au château de Versailles du Char de Jupiter entre la Justice et la Piété (1670-1672) par Noël Coypel. À l’automne de cette même année, la Bibliothèque nationale de France a pu accueillir dans ses collections le livre d’Heures de Jeanne de France, considéré « trésor national ». À la fin 2012, le Musée du Louvre, encore lui, a acquis auprès de Baron Ribeyre & associés un diptyque byzantin (XIIIe) également trésor national, représentant la Nativité et la Crucifixion, grâce au mécénat de Mazars (société d’audit).

Depuis le début de l’année 2013, des opérations de ce type ont déjà été réalisées : en janvier, le Musée du pays de Sarrebourg a emporté une collection de porcelaines de Niderviller mise en vente par Christie’s. En février, et juste avant sa mise aux enchères par Sotheby’s, le Musée des beaux-arts de Reims a acquis une partie des meubles de la salle à manger d’Émile Gallé réalisée pour le collectionneur Henry Vasnier, œuvre qualifiée d’« intérêt patrimonial majeur ». La table Herbes potagères, la console Soir d’avril au vignoble et une paire de chaises ont été cédées pour plus de 400 000 euros, le buffet Les chemins d’automne et dix chaises sont en cours d’acquisition (340 000 euros). La dernière vente en date revient à Christie’s : en juin, le Musée du Louvre s’est porté acquéreur du surtout en argent repoussé du duc de Luynes réalisé par Froment-Meurice à partir de 1846.

Opportunité ou stratégie ?
D’après Claire Chastanier, des Musées de France, la vente de gré à gré est « davantage une question d’opportunité que de stratégie. Même si les frais sur une vente de gré à gré peuvent être moins élevés, ce n’est pas cela qui guide [le choix des musées]. En fait, la vente de gré à gré est une possibilité de plus que [leur] a offerte la loi, certes plutôt intéressante, mais la procédure la plus efficace sera choisie en fonction de chaque dossier – compte tenu du prix, des ressources, de la présence ou non d’un mécène. Et puis parfois, enchérir ou utiliser la préemption s’impose du fait de la volonté du propriétaire de ne vendre qu’en vente publique. Par contre, pour les grands groupes tels que Christie’s et Sotheby’s, c’est stratégique : cette mesure leur permet d’augmenter leurs gains et de fidéliser leurs clients en leur offrant une palette de services plus étendue ». Guillaume Cerutti, président de Sotheby’s France, confirme : « Pour Sotheby’s, le développement de ce type de vente est stratégique, car nous devons être capables de proposer à nos clients une gamme complète de services. Cependant, la réalisation d’une telle vente dépend aussi des opportunités et des caractéristiques particulières liées à l’œuvre concernée, aux désirs des clients…, et au final, il n’y a que du cas par cas. » François de Ricqlès, président de Christie’s France, nuance. « Pour les musées, cette mesure est stratégique, mais pour nous, c’est une forme d’accompagnement dans le conseil que nous apportons à nos clients ». Dominique Ribeyre, commissaire-priseur, explique « cette possibilité de recourir à la vente de gré à gré nous permet parfois de sortir de l’impasse lorsque dans une succession se pose le problème de la discrétion, les héritiers ne souhaitant pas la vente publique. Avant, nous étions obligés de passer la main. Désormais, nous nous sommes alignés sur les SVV internationales et il n’y a plus de concurrence déloyale ».

Comment les différents acteurs voient-ils l’avenir de ce type de transaction ? Claire Chastanier estime « que [les musées] continueront à l’utiliser tant qu’elle paraîtra utile et pertinente auprès des maisons de ventes. Mais en dehors de quelques opérations qui ont été médiatisées, comme la vente Marquet de Vasselot, [elle] n’imagine pas forcément une explosion du nombre de ventes de gré à gré dans le futur ». Pour Dominique Ribeyre, « notre activité principale reste la vente aux enchères publiques. C’est quand même à cette occasion que nous tirons le meilleur prix de l’objet, en faisant jouer la concurrence, ce qui n’existe pas en vente privée ».

Les articles du dossier : La bonne fortune des collections publiques

 

  • Année record pour les acquisitions ? ></a></li>
	<li>Musées nationaux, la part du lion <a  data-cke-saved-href=></a></li>
	<li>Musées parisiens : la force du don <a  data-cke-saved-href=></a></li>
	<li>Bon cru pour les musées en régions <a  data-cke-saved-href=

Thématiques

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°397 du 20 septembre 2013, avec le titre suivant : Le gré à gré plaît aux musées

Tous les articles dans Actualités

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque