Peinture

Erik Boulatov, réaliste incompatible

Par Frédéric Bonnet · Le Journal des Arts

Le 16 septembre 2013 - 720 mots

À Monaco, le Nouveau Musée national permet de prendre la pleine mesure de l’œuvre de l’artiste russe, de ses préoccupations relatives à l’espace ordonnées à sa conscience politique.

MONACO - Se rendre au deuxième étage du Nouveau Musée national de Monaco, qui consacre une exposition à Erik Boulatov (né en 1933), et entrer dans la salle immédiatement à gauche. Auparavant l’on aura croisé plus bas dans l’escalier l’une des versions de son tableau le plus célèbre dans l’Hexagone, Liberté II (1991), où le mot lui-même s’inscrit en bleu et en rouge sur les côtés, installant une perspective inversée qui projette au premier plan les personnages de la Liberté et du gavroche issus du fameux tableau de Delacroix, sur un fond nébuleux et lumineux des plus dramatiques. Mais dans cette salle à l’étage de la Villa Paloma, une série de quatre tableaux carrés de 2 m x 2 m – un format récurrent chez l’artiste –, exécutés en 2006, jouent avec simplicité des seuls coloris blanc et noir et de différentes combinaisons des mots « jour » et « nuit ».

Force dynamique
Inscrit en russe dans cette typographie caractéristique des affiches de propagande soviétique, le texte semble littéralement avancer dans le tableau par le biais de la perspective. Surtout, là comme dans ses nombreuses peintures où l’artiste russe, venu s’installer en 1991 en France, insère des mots dans des espaces généralement difficiles à circonscrire, se mettent en place de savants jeux d’espaces dont la force dynamique tient à la lumière et à sa diffusion. La subtilité avec laquelle la matière noire et blanche glisse à la surface paraît faire de l’imprégnation une composante essentielle du tableau, tout comme, dans ses toiles et dessins, une luminosité légère et presque évanescente semble nimber la surface.

Ce mode de composition, que l’on retrouve dans nombre d’autres toiles (Entrance – No Entrance [1974-1975], Perestroika [1989] ou encore la série « Here » [2001]…), démontre que Boulatov a parfaitement assimilé à la fois les leçons du constructivisme russe et la tradition de l’affiche propre au réalisme socialiste, tout autant que l’efficacité du message propre au pop art. Autant d’influences qui, outre les lettrages jouant sur la capacité d’attraction du spectateur dans le champ de la toile, laissent très vite infuser une conscience du politique et de l’impérieuse nécessité de s’exprimer ouvertement.

C’est bien la combinaison de ces deux préoccupations essentielles qui rend cette œuvre passionnante, ce que démontre le parcours en trente peintures et une cinquantaine de dessins. Car au-delà des tableaux « à message », nombre d’autres font usage d’une figuration plus conventionnelle, elle aussi imprégnée d’une imagerie aux sources très diverses, qui va parfois trouver à se combiner avec des slogans.

Accents magrittiens
Cette multiplicité iconographique permet à l’artiste d’installer deux types d’espace : l’un, que l’on pourrait qualifier de « social », livre des compositions ayant trait non seulement à la Russie mais également à d’autres contextes, comme avec ce logo des Galeries Lafayette en partie découpé et apposé sur l’image d’un jardin à la française (La France, 1993) ou cette vue partielle de l’intérieur d’un wagon de train (En train, 1997-1998) ; l’autre oscillerait entre réel et mental. De nombreux tableaux en effet jouent de l’ambiguïté entre ces notions grâce à des espaces qui semblent s’ingénier à brouiller leur définition. Sur ce fond noir se dessine un discret trait blanc qui pourrait être un rai de lumière filtrant à travers une porte (La Porte, 2009-2011), ou la superposition d’une même image champêtre de jour et de nuit, cette dernière devenant « illisible » et énigmatique (Une grange en Normandie, 2011).

Ainsi s’inscrit l’art d’Erik Boulatov, dans une complexité langagière qui le fait explorer des territoires nommés d’ailleurs l’une de ses séries Espaces incompatibles (1994-1995) et que trahit à merveille un Autoportrait (1968) de jeunesse aux accents magrittiens où son propre visage, superposé à deux reprises avec des différences d’échelle, s’insère dans la silhouette blanche mais vide d’une figure portant chapeau et perdue dans un noir profond. Les espaces de Boulatov sont bien des espaces de liberté.

ERIK BOULATOV. PEINTURES ET DESSINS 1966-2013

Jusqu’au 29 septembre, Nouveau Musée national de Monaco, Villa Paloma, 56, bd du Jardin-Exotique, Monaco, tél. 377 98 98 48 60, www.nmnm.mc, tlj 11h-19h.

Commissariat : Marie-Claude Beaud, directrice du NMNM ; Cristiano Raimondi, commissaire associé

Nombre d’œuvres : 80

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°397 du 20 septembre 2013, avec le titre suivant : Erik Boulatov, réaliste incompatible

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