Fondation

À Alex

L'univers énigmatique de Marc Desgrandchamps à la Fondation Salomon

Par Éric Tariant · Le Journal des Arts

Le 2 juillet 2013 - 661 mots

Les vingt dernières années de création de Marc Desgrandchamps, exposées à la Fondation Salomon, dépeignent un univers toujours plus énigmatique.

Perché sur une hauteurau centre du village, aux pieds du massif des Aravis, le château, propriété de la Fondation Salomon, à Alex (Haute-Savoie), semble flotter, hésiter entre deux mondes. Celui des impressionnantes falaises des dents de Lanfon qui le dominent. Et celui, en contrebas, paisible et alangui du lac d’Annecy avec ses étendues calmes et bleutées qui abritent cygnes, pêcheurs et baigneurs. Un écrin approprié à l’univers hésitant et évanescent de Marc Desgranchamps. Ce monde en suspens peuplé de personnages incertains et désœuvrés semblent vivre hors du temps, en apesanteur. À l’image de ses figures féminines irréelles qui évoluent sous des ciels d’azur, sur une plage, au bord d’un lac ou d’une piscine. Les couleurs sont froides, souvent bleues, vertes ou grises.

Vingt ans d’expérimentations
L’exposition réunit, sur trois niveaux dans les salles uniformément blanches du château, une quarantaine de tableaux et une dizaine d’œuvres sur papier. Cette promenade au fil de deux décennies de création témoigne des tâtonnements d’un peintre qui ne cesse d’expérimenter, de tenter d’ouvrir de nouvelles voies. Ses tableaux expressionnistes des années 1980, transpositions picturales d’images mentales, puisent du côté de Max Beckmann. Le peintre se tourne, dans les années 1990, vers la photographie et le cinéma. Il truffe ses tableaux de détails (postures, gestes), s’inspire de photographies de presse, vole des scènes cinématographiques à des maîtres du septième art parmi lesquels Antonioni (Blow Up, 1966, et Profession reporter, 1975), Bergman (Le Silence, 1963) et Resnais (Je t’aime, Je t’aime, 1968). « La photographie me servait de document, d’aide-mémoire, et venait complexifier une représentation jusqu’alors très linéaire et synthétique », explique Marc Desgrandchamps.
Quelques tableaux du début des années 1990 flirtent, eux, avec l’abstraction. Formées de rhizomes, d’entrelacs de couleurs froides, ces œuvres évoquent l’expressionnisme abstrait américain, Brice Marden particulièrement. Ailleurs, comme dans cette toile de 1994 évoquant Central Park, l’artiste hésite entre abstraction et figuration : l’air semble grésiller, la nature se dérober.
Au fil des ans, la figure féminine tend à devenir un motif récurrent. Ses femmes au regard absent et au corps tronqué sont diaphanes, fantomatiques. Tantôt parées d’un voile ténu, tantôt translucides. Exécutées avec peu de matière, à l’aide d’une peinture fluide, les chairs laissent transparaître des éléments de décor ou de paysages. Pour compenser la rigidité du trait du dessin et échapper à sa fixité, Desgrandchamps laisse la peinture dégouliner, brouillant ainsi les formes. Ses coulures – légèrement ostentatoires – ont été longtemps sa « marque de fabrique ». Depuis quelques années, celles-ci tendent à disparaître et sa peinture gagne en densité. Comme dans le grand triptyque bleu inspiré du Genou de claire (1970) d’Éric Rohmer figurant un canot à moteur qui s’éloigne sur le lac d’Annecy (S. t., 2013).
Énigmatiques, ses toiles sont rarement sereines. Un élément ou une présence troublante vient souvent perturber le calme apparent. Une chaise renversée gît sur une plage à côté d’une femme qui scrute l’horizon (Sans titre, 2001) ; des cyclistes pédalent sous un soleil de plomb dans une chaleur suffocante (Sans titre, 2006) ; une femme, suspendue à un trapèze, évolue au-dessus d’un paysage désertique, presque lunaire (Sans titre, 2008). Inspiré du film Melancholia (2011) de Lars von Trier, un grand triptyque de 2008 accroché dans la grande salle au premier étage dégage une atmosphère tout aussi étrange. Une planète à la présence inquiétante et incongrue flotte en apesanteur au-dessus de la plage. Une femme presse le pas ; un homme, enveloppé dans une serviette de bain, rebrousse chemin. Un climat oppressant pour décrire un monde qui se délite, dans l’indifférence générale, sous un ciel bleu, signe de l’insoutenable légèreté des hommes.

MARC DESGRANDCHAMPS

Commissaire de l’exposition : Érik Verhagen

Nombre d’œuvres : une cinquantaine

jusqu’au 29 septembre, Fondation pour l’art contemporain Claudine et Jean-Marc Salomon, 191, route du Château, 74290 Alex, tél. 04 50 02 87 52. www.fondation-salomon.com, du mercredi au dimanche 13h30-19h.

Légende photo

Marc Desgrandchamps,Sans titre, 2013,triptyque, huile surtoile, 200 x 430 cm.© Photo : le fotographe.

Thématiques

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°395 du 5 juillet 2013, avec le titre suivant : L'univers énigmatique de Marc Desgrandchamps à la Fondation Salomon

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