Le Brésil dans la rue, le monde culturel silencieux

Le Journal des Arts

Le 2 juillet 2013 - 626 mots

Alors que les manifestations au Brésil ne semblent pas s’essouffler, le monde culturel pourtant lui aussi handicapé par des retards structurels reste muet. Selon l’ancienne ministre de la Culture ainsi que d’autres acteurs interrogés par le JdA, le secteur n’est pas encore suffisamment organisé.

RIO DE JANEIRO - Depuis le début du mois de juin, les manifestations se succèdent dans tout le pays pour dénoncer le manque d’investissements dans les infrastructures, en dépit de la croissance économique des dernières années. Trois secteurs sont notamment visés : le transport, l’éducation et la santé. En cause et en toile de fond, les dépenses pharaoniques engagées pour la Coupe du monde de football de 2014 et la relative impunité dont jouit encore la corruption. Le monde culturel est curieusement silencieux depuis le début du mouvement. Quelques chanteurs populaires « soutiennent » le mouvement, certes, mais les artistes et intellectuels tardent à prendre la parole, devant un mouvement constitué d’anonymes, pluriel et difficilement intelligible. Le secteur culturel, à l’instar des autres pans de l’économie, souffre de retards structurels. Selon Mauricio Dias, artiste plasticien vivant à Rio, « dans un pays gigantesque et partiellement décentralisé, les villes doivent offrir davantage de continuité ». Il pense notamment à la gestion budgétaire, aux programmes d’éducation et à la politique de la ville. Ana de Hollanda, ministre de la Culture de la présidente Dilma Roussef de 2010 à septembre 2012, souligne ce besoin en évoquant la « cartographie incomplète du secteur culturel […] qui empêche une coordination cohérente ». L’ancienne ministre redevenue musicienne relève la capacité d’action limitée du pouvoir central et « l’absence de continuité dans une politique culturelle locale, très événementielle ». En effet, le système de financement de la culture, articulé autour de la loi Rouanet (sur le mécénat), crée une mécanique budgétaire annuelle qui favorise la vision à court terme et « la dépendance des projets à l’égard des entreprises mécènes ». Ce phénomène explique également le manque d’unité d’un secteur qui ne s’est pas encore constitué en groupe.

La culture, un loisir
Derrière ces stigmates d’un développement tardif se profile un argument culturel, plus complexe, qui s’attache à l’identité brésilienne et à la construction de sa citoyenneté. Pour America Cavaliere, designer et galeriste à Rio, « la création artistique et sa diffusion ne sont pas encore considérées comme des outils d’intégration et d’éducation ». Ce rôle potentiel se heurte à la réalité des institutions culturelles, encore largement réservées aux élites. Par exemple, les musées visant davantage les touristes internationaux n’intègrent pas, dans leur programmation, une dimension de recherche et d’analyse sur le patrimoine national : « Quand les impressionnistes attirent 500 000 visiteurs à Rio, les expositions d’artistes brésiliens sont confidentielles, nettement moins fréquentées », déplore Ana de Hollanda. L’identité brésilienne est une construction culturelle, certes, mais « la consommation de culture est considérée comme un loisir et n’est pas un élément constitutif de la pensée brésilienne ».

Ce point de vue est donc confirmé par le relatif attentisme du secteur depuis un mois. Sylvia Carolinne, artiste et collaboratrice régulière de la revue Das Artes, avance une explication : « En dehors de la musique, cas particulier au Brésil, la professionnalisation dans les arts est très récente. Cette possibilité difficilement acquise, dans un pays en développement, de vivre de la création, se trouve légitimée par la vigueur de la scène brésilienne sur le marché de l’art. Elle cantonne les acteurs à un certain conservatisme face au mouvement social ». Cynique ? Cette vision pragmatique, largement partagée, n’empêche pourtant pas les acteurs de croire en un avenir meilleur. Témoin la lucidité optimiste de Mauricio Dias : « Le devoir d’autocritique, qui sous-tend le quotidien de l’artiste, doit nous inspirer dans les changements, sans nous faire oublier les progrès en cours. »

Légende photo

Ana de Hollanda, ancienne ministre de la Culture du Brésil - © Photo Agencia Brasil.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°395 du 5 juillet 2013, avec le titre suivant : Le Brésil dans la rue, le monde culturel silencieux

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