Galerie

Arte povera

Giuseppe Penone et la peau de l’arbre

Par Henri-François Debailleux · Le Journal des Arts

Le 5 juin 2013 - 749 mots

Parallèlement à son invitation prochaine au château de Versailles, la galerie Marian Goodman présente sept œuvres magistrales de l’artiste italien réalisées depuis 1984.

PARIS - On dirait un tronc. Un vrai tronc d’arbre comme brisé en deux par une violente tempête. Sauf que les parties déchirées sont couvertes de feuilles d’or et que l’arbre est en bronze, avec une patine oxydée tellement subtile qu’elle fait passer l’écorce pour plus vraie que nature. Premier paradoxe. Le second vient de ce que Giuseppe Penone fait reposer ces deux gros morceaux de bois, en hauteur et à l’horizontal, sur des branches, comme si celles-ci portaient leur tronc à bout de bras, à la manière de pleurants maintenant un cercueil ou un corps sur leurs épaules (Tra…, 2008). Une autre œuvre complète ce cortège dans la grande salle de la galerie. Mais si celle-ci s’inscrit dans la même ligne d’une portée à mi-hauteur, Ombra di terra (2000) se compose de trois séries de tuiles empilées sur des branches et disposées pour former un cône à l’horizontal scindé en trois parties. Il faut aller mettre le nez à sa pointe pour y découvrir une empreinte de doigt que l’on va retrouver agrandie sur les tranches de tuiles, comme la projection en relief d’une ombre portée.

Le thème de l’empreinte est aussi présent au sous-sol de la galerie, cette fois dans un grand tableau où l’on croit voir une cartographie. Il s’agit en fait d’un centimètre carré de la paume d’une main, scrupuleusement agrandi sur une toile en soie de 4,80 m x 3 m. Mais qui s’y frotte s’y pique : les lignes qu’on croyait au fusain sont en fait dessinées à l’aide d’épines d’acacia (Spine d’acacia-palms, 2008). Magnifique paradoxe encore de la main qu’on ne peut pas toucher, et nouvelle version, sans doute, du fameux « Noli me tangere » (« Ne me touche pas ») adressé par le Christ à Marie-Madeleine.

Sélection resserrée
Toute la sélection est ainsi construite sur ce principe de correspondances des œuvres entre elles. Parallèlement à l’invitation de Penone au château de Versailles (du 11 juin au 30 octobre), Marian Goodman a proposé à Laurent Busine le commissariat de l’exposition à la galerie. Le directeur du Musée des arts contemporains au Grand-Hornu, en Belgique, s’est plongé dans la collection de la galerie qui travaille depuis vingt-cinq ans avec l’artiste italien. Puis il a pris la décision de ne montrer que peu d’œuvres, sept au total, mais rigoureusement choisies pour dessiner les lignes de force de celui qui, depuis la fin des années 1960, est l’une des figures majeures de l’Arte povera. Lignes de force parmi lesquelles une opposition essentielle, celle du figé et du vivant, comme l’évoque de superbe manière, dès l’entrée, Gesto vegetale (1984). La sculpture esquisse le contour d’un corps qui, en creux, s’est progressivement fait envahir par une plante – un ficus – qui lui pousse à l’intérieur. Au stade actuel, le bronze semble serrer dans ses bras le végétal. Mais la nature à l’œuvre et la sculpture en constante métamorphose (la référence à Ovide est évidente) verront un jour la nature faire disparaître la figure. Albero e gesto (1895-1991), la pièce mise en regard, en est la démonstration : l’arc de fer qui la compose s’est fait sertir par la branche à laquelle il était accroché.

Le temps depuis toujours est la permanence, la sève de l’œuvre de Penone, presque symétriquement articulée autour de ces dialogues entre nature et culture, vie et mort, solidité et fluidité. Avec, en toile de fond, ces autres constantes que sont le rapport à la surface et aux matériaux, les sens qui vont avec, la vue, le toucher, l’enveloppe, le souffle…

Sa cote aussi souffle fort. Avec une fourchette allant de 20 000 à 40 000 euros pour un petit dessin jusqu’à 300 000 pour l’œuvre composée de 16 dessins ou 500 000 euros pour le tronc d’arbre, on ne peut pas vraiment dire que les prix fassent dans la brindille et soient une vue de l’esprit.
Mais est-il besoin de rappeler que Giuseppe Penone est une star internationale avec un rayonnement royal. La preuve avec son installation prochaine dans les jardins de Le Nôtre. Avec là encore un paradoxe, qui ne doit pas déplaire à l’artiste : l’Arte povera, l’art pauvre trônant sous les ors du château de Versailles !

Giuseppe Penone

Nombre d’œuvres : 7

Prix : entre 20 000 et 500 000 €

Titre original de l'article du Jda : "Penone et la peau de l'arbre"

Giuseppe Penone, le corps d’un jardin

Jusqu’au 22 juin, Galerie Marian Goodman, 79, rue du Temple, 75003 Paris, tél. 01 48 04 70 52, www.mariangoodman.com, du mardi au samedi 11h-19h.

Consulter la fiche biographique de Giuseppe Penone

Légende Photo :
Giuseppe Penone, Ombra di terra, 2000, bronze et terre cuite, 283 x 176 x 104 cm. Courtesy de l’artiste et de la Galerie Marian Goodman, Paris.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°393 du 7 juin 2013, avec le titre suivant : Giuseppe Penone et la peau de l’arbre

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