Savoir-faire

Verres luisants

Par Christian Simenc · Le Journal des Arts

Le 5 juin 2013 - 839 mots

Le Musée Maillol à Paris présente sept siècles de création, de la Renaissance à nos jours, autour du verre de Murano mis en forme par les artisans, artistes et architectes.

PARIS - S’il est une île vénitienne qui fait instantanément penser à l’art du verre, c’est bien Murano. Pas toujours pour les bonnes raisons d’ailleurs, tant les « créations » qui hantent les boutiques de souvenirs atteignent parfois des sommets d’exécrabilité. Cette production purement touristique fait surtout oublier que Murano est l’antre de moult ateliers qui ont soufflé et soufflent encore sa légende, détenant, depuis sept siècles, un savoir-faire à nul autre pareil. C’est précisément ce que veut montrer cette exposition déployée au Musée Maillol, à Paris, et intitulée « Fragile. Murano, chefs-d’œuvre de verre de la Renaissance au XXIe siècle ». Celle-ci réunit plus de deux cents pièces datant du milieu du XVe siècle à nos jours et retrace « le parcours historique de la production des grandes verreries » à travers, notamment, ces âges d’or qu’auront été la Renaissance, le milieu du XIXe siècle, les années 1920 et l’aube des années 1950.

Géographie des lieux oblige, la présentation est antéchronologique, débutant au rez-de-chaussée avec un volet contemporain – et ses pièces imposantes – pour s’achever à l’étage par les sections historiques. Problème : la scénographie, brouillonne et sans surprises, se contente d’exhiber les œuvres sous forme de « digest », sans fil conducteur. Le visiteur devra donc s’en créer un lui-même. Reste que certaines pièces sont remarquables. À commencer par celles, historiques, en reticello, cette technique complexe qui consiste à entrecroiser des « fils » de verre à l’intérieur de deux épaisseurs de verre différentes, ainsi pour cette Bouteille en filigrane à col retourné datant de la fin du XVIe siècle, ou ces splendides Coupes Libellule des années 1920 signées Vittorio Zecchin. Plus près de nous, on trouve aussi un Lustre à huit bras de lumière (1950) de l’architecte Gio Ponti, une coupe en verre « immergé » dessinée par le peintre et céramiste Flavio Poli (1960) et une amusante théière (1976) imaginée par le designer Ettore Sottsass.

Les maîtres verriers n’hésitent pas, en tout cas, à explorer la matière dans toutes ses possibilités. Qu’il s’agisse de cette belle série de bouteilles en verre soufflé réalisées entre 1845 et 1848 par Pietro Bigaglia à partir de techniques diverses – mezza filigrana, reticello, retortoli… –, ou de ces vases dessinés dans les années 1930 par l’architecte vénitien Carlo Scarpa, d’une élégante sobriété n’était-ce le matériau, « forgé » [battuto], « immergé » [sommerso], voire « corrodé ». Ces maestros de la canne de soufflage ont aussi pris l’habitude, depuis les années 1950, d’expérimenter le verre en collaborant avec des artistes, comme l’évoque brièvement une section, étriquée, qui réunit notamment César, Jean Arp et Lucio Fontana.

Gouttes de cristal et verre pilé
Souffler n’est pas jouer ? Bien au contraire. Il suffit d’observer de quelle manière certains artistes contemporains s’amusent avec la matière pour en être convaincu. Erik Dietman imagine un superbe Crâne stylisé surmonté, en guise de chapeau de pirate, d’une maquette de galion. En arrière-plan est fixée sur un mur, comme en écho, une gravure sur verre de Francesco Andolfato datant de 1940 et représentant un voilier. Jan Fabre raconte Venise à travers des sculptures représentant des pigeons et leur fiente… de verre (Shitting Doves of Peace and Flying Rats), et Thomas Schütte, par la mise en regard de deux têtes monstrueuses, l’une rouge, l’autre verte : Berengo Heads. Mona Hatoum, elle, dresse Web, une toile d’araignée plus vraie que nature truffée d’une myriade de gouttes de cristal comme après l’orage. Tandis que le duo russe Recycle Group montre Way, installation étonnante constituée d’un écran projetant une vidéo dans laquelle deux hommes marchent droit devant eux et marquent en boucle leurs pas dans la neige. Face à l’écran, un « chemin » de verre pilé sur lequel s’impriment, en cadence, des pas qui aussitôt disparaissent.

L’Espagnol Javier Pérez, lui, s’en sort de justesse. Son œuvre Carroña, qui figure de manière incomplète sur l’affiche de l’exposition ainsi que sur la couverture du catalogue (un beau ratage !), se déploie heureusement, ici, dans sa totalité. Ce qui pouvait n’apparaître que comme un luxueux lustre chu du plafond redevient, une fois nanti de ses oiseaux naturalisés, une œuvre à part entière, évoquant la nature éphémère et cyclique de l’existence, la beauté et la laideur, la vie et la mort. Des corbeaux grimpent sur les branches du chandelier démantibulé comme sur une charogne. Dans leurs becs scintillent des éclats de verre couleur rouge sang.

Murano

Commissaires de l’exposition : Rosa Barovier Mentasti, historienne de l’art et spécialiste du verre vénitien ; Cristina Tonini, conservatrice honoraire du Musée Bagatti Valsecchi, à Milan, et Olivier Kaeppelin, co-commissaire pour l’art moderne et contemporain, directeur de la Fondation Maeght, à Saint-Paul de Vence

Scénographe : Hubert Le Gall

Légende photo

Mona Hatoum, Web, 2006, sphères de cristal et fil métallique, 515 x 2 100 x 1 325 cm. - © Photo Ela Bialkowska, courtesy Galleria Continua, San Gimignano/Le Moulin.

Fragile. Murano, Chefs-d’œuvre de verre de la Renaissance au XXIe siècle

Jusqu’au 28 juillet, Musée Maillol, 59-61, rue de Grenelle, 75007 Paris, tél. 01 42 22 59 58, tlj 10h30-19h, jusqu’à 21h30 le vendredi, www.museemaillol.com

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°393 du 7 juin 2013, avec le titre suivant : Verres luisants

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