Paroles d’artiste

Jean-Charles Blais : « L’équilibre ressemble à une fatalité »

Par Frédéric Bonnet · Le Journal des Arts

Le 21 mai 2013 - 761 mots

Le Musée Picasso d’Antibes met à l’honneur Jean-Charles Blais et retrace trente années d’une carrière riche et diverse.

Jean-Charles Blais a investi les salles du Musée Picasso, à Antibes. Un parcours balayant quelque trente ans de carrière, avec une obsession pour le corps et sa définition dans l’espace.

La question du corps est omniprésente et quelles que soient les époques, il disparaît plus qu’il n’apparaît. S’agit-il d’une façon de travailler sur la présence d’une manière paradoxale ?
Comme toujours, c’est apparu sous la forme probablement d’une intuition, cela n’a pas été formulé. Même dans les périodes où j’ai tenté d’avoir les mains prises le moins possible dans une forme de matérialité, au fond il y a toujours l’apparition de l’objet qui fait que le dispositif prend une consistance, même si l’objet est très ténu. En fait cette consistance repose sur des éléments contradictoires, puisque effectivement, l’objet que mon travail voudrait montrer, il le cache ou le fait disparaître en même temps. Les premières affiches arrachées au début des années 1980 – qui sont à peu près les premiers tableaux que j’ai montrés – sont des objets très volumineux, redondants, et en réalité un peu surjoués, qui déjà dénotent une espèce de double spécialité, puisqu’il y a une figure en fond qui n’appartient Joyaux Lega d’ivoire, d’os et de bois»pas exactement au même espace mais qui s’emboîte comme une pièce de puzzle. Ensuite ces sortes de tensions contradictoires – qui font que ce que je vous montre se dérobe – viennent effectivement comme une permanence, mais c’est quelque chose auquel je ne pense même pas.

Votre travail se matérialise souvent par de la superposition, appelant le plein et parfois le vide. Cet équilibre est-il nécessaire afin d’approcher la figure ?
Je dirais qu’il ressemble, dans ce qui m’occupe, à une fatalité. Je ne m’aventurerais pas à essayer de l’analyser avec plus de justesse ou de précision, mais il est clair qu’effectivement il y a cet équilibre. Il pourrait être décrit comme un jeu de couches qui viendraient s’augmenter, et puis tout d’un coup, une disparition par le creux. Ce que chacun des types de travaux que j’ai fait retient, c’est cette tension, ce paradoxe en effet. Dans tous les cas, que ce soit dans la boursouflure ou dans la réalité la plus ténue, ce qui opère, c’est ce point de disparition si je puis dire, comme si au fond ce qui arrête le travail, comme le « final cut » au cinéma, c’est le moment qui tient les deux bouts, c’est-à-dire effectivement le moment où l’apparition et la disparition sont liées. Je pense que ces histoires de couches fonctionnent métaphoriquement de la même façon. Je dis métaphoriquement, car il se trouve que physiquement je produis des œuvres qui entretiennent soit cette abondance – ces superpositions et effets d’enfouissements –, soit le « désenfouissement » et presque la disparition. Ce n’est pas visible dans l’exposition car ce n’est pas montrable, mais il m’est arrivé pendant une période relativement longue, environ deux ans, après avoir imaginé des choses avec rien – comme de la vidéo –, de travailler avec l’idée de retrouver une mise en forme dans la proximité du tableau. Et les séances de travail, sans pourtant d’effet de crise, se terminaient par rien du tout ! Ma grande affaire était donc de dessiner des trouées. La forme essentielle était une forme absentée, découpée, et à la fin il ne restait plus rien.

Qu’est-ce qui vous a conduit à passer notamment des affiches à l’image numérique, puis de revenir au collage ? Y avait-il une nécessité de faire évoluer formellement le travail ?
Je crois que c’est relatif à l’appétit, au sens de la notion de goût ; l’envie de goûter des choses fait place à un moment de lassitude et le regard se porte ailleurs. Je m’aperçois que de fait, quand je passe d’un chantier à l’autre, le changement de dispositif finalement ne change rien fondamentalement à ce qui tient mon travail, puisque je me retrouve toujours à peu près à observer les mêmes éléments. Il y a des choses que je ne regardais absolument pas à 30 ans et que je trouvais passionnantes à 40, et aujourd’hui à 50 ans, je regarde des choses qui me paraissaient inimaginables, il y a dix ans. Et de fait, évidemment cela fabrique de l’appétit, du goût, de l’outil, de l’envie. Je crois que la vérité c’est ça : c’est protéger cette envie de me lever le matin et de me dire « je vais essayer ce truc et ça va peut-être être formidable. »

JEAN-CHARLES BLAIS

Jusqu’au 9 juin, Musée Picasso, Château Grimaldi, 06600 Antibes, tél. 04 92 90 54 26, www.antibes-juanlespins.com, tlj sauf lundi 10h-12h et 14h-18h. Catalogue co-éd. Musée Picasso : Skira, 120 p., 45 €

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°392 du 24 mai 2013, avec le titre suivant : Jean-Charles Blais : « L’équilibre ressemble à une fatalité »

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