Numérique

Le savant équilibre du rapport Lescure

Par Christine Coste · Le Journal des Arts

Le 21 mai 2013 - 1055 mots

Les 80 propositions de la mission Lescure constituent un subtil équilibre entre la défense des droits des créateurs et la liberté sur Internet. L’institution Hadopi serait supprimée, mais la riposte graduée partiellement conservée. Une nouvelle taxe de 1 % sur les équipements connectés aiderait les industries culturelles à améliorer leur offre légale.

PARIS - Pas de mesures révolutionnaires dans le rapport « Acte II de l’exception culturelle » remis au président de la République et à la ministre de la Culture et de la Communication. Pierre Lescure le déclarait lui-même à la presse le 13 mai dernier avant de présenter l’esprit du rapport et quelques-unes de ses propositions phares : « la révolution c’est le numérique ». À lire cependant les 700 pages du rapport commandé par Aurélie Filippetti il y a neuf mois, il ressort que la ministre dispose là d’une vision et d’une série de propositions certes très diverses et variées qui, si elles sont appliquées dans leur ensemble (ambition de Pierre Lescure) ou du moins en grande partie, constitueront les premiers fondements, les premiers actes d’une politique culturelle jusqu’à présent peu perceptible de la part du ministère.

Réduire en effet les propositions de la mission Lescure à la suppression de la Hadopi (aux missions transférées au CSA) et au maintien d’un dispositif de ripostes graduées contre le téléchargement illégal des œuvres tend à gommer l’esprit général du rapport, mais aussi d’autres propositions importantes en particulier pour la photographie. N’y voir par ailleurs qu’un catalogue de mesures répressives, comme l’affirme La Quadrature du Net  ou le Syndicat représentant des grandes marques d’électroniques, est erroné.
Au contraire dans ces 700 pages denses, il est beaucoup question d’offres de qualité à fournir aux internautes, d’éducation à mener, de respect, de flexibilité aussi, d’équités, de rééquilibrage et de juste redistribution marchande entre utilisateurs de contenu et créateurs, d’adaptation également des droits intellectuels.

Un panorama complet sans concession
Jamais un rapport n’avait jusqu’à présent donné une telle vision d’ensemble de la situation des industries culturelles à l’ère du numérique. Secteur par secteur – audiovisuel, cinéma, livre, photographie, musique –, le rapport Lescure décortique, analyse minutieusement les effets du développement des technologies numériques. Pratiques, usages, enjeux : le panorama est complet, sans concession, le diagnostic domaine par domaine est précis et au plus près d’une réalité que la plupart des associations professionnelles saluent. Telle pour la photographie l’association PAJ, regroupement de photographes professionnels auditionné par la mission. « Nous avons été écoutés. Deux des quatre-vingts propositions de la mission Lescure qui concernent la photographie sont des propositions de PAJ. C’est la première fois qu’un document officiel reconnaît la situation, la dénonce et souhaite que l’on y remédie », souligne son secrétaire général Thierry Secretan.

Ainsi, la profession a bien accueilli la proposition 36 « d’établir un code de bonne conduite, encadrant l’utilisation des banques d’images et le recours à la mention DR [droits réservés] », comme celle de conditionner les aides à la presse à un usage raisonné de la mention DR et aux volumes de commandes passés à des agences, des collectifs ou photographes indépendants. Tout autant saluée est la proposition visant à soutenir les actions des organisations professionnelles qui promeuvent « le respect des moraux et patrimoniaux des photographes.». « Un soutien qui pourrait être financé par la taxe sur les ventes d’appareil connectés », précise-t-on au ministère de la Culture. Taxe de 1 % suggérée par le rapport dont le produit estimé de 86 millions d’euros (si le niveau du taux est retenu) sera versé à un compte d’affectation spécial géré par le ministère de la Culture et de la Communication, et utilisé « pour encourager et accompagner la transition numérique des industries culturelles » plus particulièrement « dans un premier temps, dans les domaines de la musique et de la photographie, les secteurs les plus affectés par le choc numérique. » « Le produit de cette taxe sera également réservé à la numérisation des fonds patrimoniaux [NDLR que le rapport préconise d’accroître davantage] et aux aides qui seront attribuées aux plateformes innovantes », indique-t-on rue de Valois. Le temps, au ministère de la Culture et de la Communication, est désormais à l’établissement de réunions de concertation et de mises en œuvres avec les professionnels, secteur par secteur, des quatre-vingts propositions relevant davantage du ressort d’accords interprofessionnels que du législatif. Rendez-vous ont été ainsi fixés le 5 juin pour la filière audiovisuelle, le 6 juin pour la musique. Vendredi 17 mai, Francis Brun-Buisson, conseiller maître à la Cour des comptes qui présida au début des années 2000 à la commission sur la copie privée, s’est vu quant à lui confier la mission de médiation entre les agences photo et les éditeurs de presse.
Pour l’établissement de la taxe sur les smartphones, ordinateurs, liseuses, etc., les discussions interministérielles ont commencé avec une demande d’arbitrage du Premier ministre. Le calendrier est serré ; Aurélie Filippetti souhaite une concrétisation rapide des propositions de la mission Lescure. D’ores et déjà, la ministre a le soutien de l’Élysée, la remise du rapport à François Hollande n’a pas été à ce titre un acte anodin

Un rapport de poids

Il est encore trop tôt pour connaître le destin du rapport Lescure, mais à en juger par son épaisseur (700 pages), il part avec plus d’atouts que ses prédécesseurs, le rapport Olivennes en 2007 (43 pages) qui avait abouti à la Hadopi et le rapport Zelnik en 2010 (130 pages) avec sa carte jeune qui n’a jamais marché. C’est d’abord un formidable état des lieux de la situation des industries culturelles face au numérique, fourmillant de données chiffrées, de tableaux, de commentaires des règles en vigueur, de la fiscalité, des débats en cours. Tout cela, dans un style plutôt simple et direct, comme l’est la synthèse (en 35 pages cependant), si l’on veut s’épargner la lecture des 400 pages du rapport. Si le livre, la musique, les films, les jeux vidéo occupent l’essentiel du propos, le rapport s’intéresse aussi à la photographie, à la captation du spectacle vivant voir aux publications scientifiques. Le second tome (233 pages) explique la méthodologie et surtout publie un résumé des 194 auditions et entretiens réalisés par la commission. La plupart des organisations représentatives ont été entendues, à l’exception du collectif La Quadrature du Net et d’UFC Que Choisir qui ont refusé de s’exprimer devant la mission.

Jean-Christophe Castelain

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°392 du 24 mai 2013, avec le titre suivant : Le savant équilibre du rapport Lescure

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