Un tout petit monde

Par Alain Quemin · Le Journal des Arts

Le 6 mai 2013 - 900 mots

Cette année encore, l’Artindex monde fait ressortir la concentration des plus grands artistes internationaux dans un nombre très restreint de pays et souligne la prépondérance des États-Unis.

Quelle géopolitique de l’art contemporain dessine l’Artindex monde 2013 ? En 2013, comme déjà en 2012, les artistes américains occupent une très confortable première position sur la scène internationale de l’art, avec pas moins de 35 des 100 artistes les plus visibles dans le monde. Les deux années successives, c’est l’Allemagne qui constitue le seul réel challenger des États-Unis, loin derrière ceux-ci, même si, cette année, le nombre d’artistes allemands augmente très nettement, de 17 à pas moins de 22. Cette poussée provient sans doute en bonne partie du changement de méthodologie qui donne davantage de poids aux manifestations plus récentes : cela renforce la présence de l’Allemagne, puisque sa scène et ses artistes ont beaucoup gagné en importance à partir des années 1980. Puis vient le Royaume-Uni, qui maintient ses positions avec huit artistes, toujours suivi par un même groupe de trois pays composé de la France (5,5 artistes : un demi-point a été attribué à chacun des deux pays entre lesquels se partagent certains artistes selon les informations fournies par Artfacts), de la Suisse et de l’Autriche (4 artistes chacun), selon des proportions presque semblables à 2012. Viennent ensuite le Japon (3 artistes), l’Italie (2,5) ainsi que la Belgique et le Canada (2 artistes chacun), puis dix pays représentés par un seul artiste – Afrique du Sud, Danemark, Russie, Chili, Brésil, Serbie, Liban, Mexique, Thaïlande, Pays-Bas – et deux par un « demi-artiste » chacun puisque leurs représentants, bien que natifs de ces États, n’entretiennent plus que des liens temporaires avec leur nation d’origine : Grèce et Albanie.

Disparités cartographiées
Non seulement la consécration artistique est concentrée entre un nombre très faible de pays sur les 190 nations que compte le monde, mais la part des uns et des autres apparaît extrêmement inégale. Les palmarès, comme l’Artindex monde, ne manquent généralement pas d’agacer par le dévoilement qu’ils opèrent là où, bien souvent, les croyances en vigueur dans le monde de l’art, comme dans tous les mondes sociaux, voudraient se convaincre de davantage de liberté et d’indétermination. Outre la place centrale des États-Unis et la place très importante de l’Allemagne, retenons que les artistes chinois, dont la présence sur le marché des enchères est devenue considérable à partir de 2007, n’apparaissent toujours pas dans l’Artindex monde en 2013, conséquence du peu d’intérêt que leur portent les grandes institutions internationales.

Les inégalités se creusent encore si l’on corrige les informations délivrées par Artfacts.net en termes de nationalité en rattachant les artistes à leur pays de résidence. Ainsi, l’Allemand Anselm Kiefer qui vit en France depuis de nombreuses années, est-il est de facto franco-allemand. Le Suisse Thomas Hirschhorn vit aussi en France, tandis que le Français Pierre Huyghe vit à New York. Parmi les artistes originaires de pays plus périphériques ou les plus « exotiques » du monde de l’art contemporain international, l’Italien Maurizio Cattelan et le Russe Ilya Kabakov résident depuis longtemps aux États-Unis (on pourrait tout aussi bien dire à New York !), tout comme le Chilien Alfredo Jaar, la Serbe (expatriée de longue date) Marina Abramovic, ou même le Brésilien Vik Muniz et la Japonaise Yoko Ono qui est, depuis longtemps, une figure emblématique de la vie new-yorkaise !

Quant au Thaïlandais (né en Argentine) Rirkrit Tiravanija, il se partage depuis de nombreuses années entre Berlin et New York. Loin de l’idéologie qui prévaut dans le monde de l’art et qui suppose que les artistes sont des quasi-nomades sans attaches spatiales réelles, on constate qu’ils restent ancrés dans des territoires – certes pas toujours leur pays d’origine – qui exercent une influence déterminante. Finalement, si l’on tient compte du pays de résidence actuel, ce sont,de très loin les États-Unis qui bénéficient le plus de la réaffectation des artistes entre nations. Dotés de 7,5 artistes étrangers de plus qui vivent et créent sur leur territoire, leur part augmente encore à 42,5, distançant encore davantage toutes les autres nations. Le chiffre extrêmement élevé montre bien la part absolument centrale occupée par les artistes américains – qu’ils soient nés ou non dans leur pays de résidence actuelle – dans la création plastique contemporaine internationale. L’art contemporain le plus reconnu internationalement, c’est avant tout un art créé sur le territoire américain.

Questions de méthode

Artindex est un classement « réputationnel » qui repose sur le nombre d’expositions et l’importance des lieux (galeries, musées, biennales...) où exposent les artistes. Les données sont fournies par notre partenaire Artfacts.net, dirigé par son fondateur Marek Claassen qui administre une considérable base d’artistes, de lieux et d’expositions. Les « points », cumulés depuis les débuts de l’artiste, sont établis à partir d’un algorithme dynamique et itératif entre les artistes et les lieux. Les coefficients affectés à ces derniers sont donc totalement objectifs, évitant ainsi tout biais. L’algorithme a cependant été modifié depuis le classement de l’an dernier : la valeur affectée aux expositions est dépréciée dans le temps afin de mieux valoriser les jeunes artistes. Il se peut donc que le classement international de 2011 ne soit pas exactement celui publié dans le Journal des arts de juin 2012. Autre changement important : les artistes étrangers vivant en France depuis de longues années ou ressortissant de la scène française (par leur formation, leur influence..) sont désormais intégrés dans le classement Artindex France.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°391 du 10 mai 2013, avec le titre suivant : Un tout petit monde

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