Sculpture

Ron Mueck installe le trouble

À la Fondation Cartier, le sculpteur londonien présente une œuvre d’une déroutante humanité

Par Alain Quemin · Le Journal des Arts

Le 3 mai 2013 - 635 mots

PARIS

PARIS - Le réveil de la belle endormie : après une phase pendant laquelle les expositions présentées à la fondation Cartier pour l’art contemporain avaient pu décevoir, notamment en étant parfois assez peu orientées sur l’art contemporain, ce dernier est de nouveau clairement au centre de la programmation.

Tant dans la précédente exposition, également monographique, consacrée au peintre chinois Yue Minjun, que dans l’actuelle, dédiée au sculpteur d’origine australienne et vivant à Londres Ron Mueck, le centre d’art privé vient parfaitement compléter la programmation des institutions publiques. Avec Yue Minjun comme avec Ron Mueck, il s’agit d’artistes très reconnus sur la scène internationale de l’art contemporain, mais très peu montrés dans le cadre de grandes expositions en France. Le public ne peut donc que se réjouir de découvrir ainsi l’œuvre de créateurs contemporains de premier plan.

Ron Mueck a marqué de son triomphe la biennale de Venise en 2001 avec sa sculpture géante et hyperréaliste d’un garçonnet accroupi, Boy, qui accueillait le visiteur à l’entrée de l’Arsenal. Elle fait partie de ces œuvres qui marquent durablement les esprits et figure sans doute parmi les plus fortes de celles qui ont été présentées depuis le début du siècle. Depuis, la Fondation Cartier avait certes consacré une exposition mémorable en 2005 à Ron Mueck, mais le public français avait eu bien peu d’occasions de découvrir le travail de l’artiste.

Tradition hyperréaliste et humanisme
Une exposition en institution qui se compose de neuf œuvres seulement (dont trois montrées pour la première fois), la chose est peu commune. Il faut dire que Ron Mueck produit lentement et très peu. Ses créations, des sculptures hyperréalistes d’êtres humains (et un poulet plumé accroché au plafond tête en bas) reproduits dans des dimensions qui introduisent de l’étrangeté – tant le changement d’échelle de ces géants ou lilliputiens est prononcé ne manquent pas de fasciner. Le travail des détails est étonnant, qu’il s’agisse des ongles, des pilosités, des veines voire des os qui transparaissent sous la peau.

S’il est possible de classer Ron Mueck dans la tradition hyperréaliste, il se distingue fortement de la démarche, grinçante, d’un Duane Hanson ou d’un Maurizio Cattelan. L’artiste exprime un profond humanisme qui suscite la compassion pour les êtres représentés, humains dans toute leur simplicité, voire leur touchante banalité. Ces corps que l’on découvre ne sont pas ceux de sculptures ou de statues, ni même ceux des personnes représentées, ce sont ceux du genre humain, rendus avec toutes leurs imperfections, livrés dans leur éblouissante vérité. Paradoxalement, l’artifice le plus poussé n’est mobilisé que pour mieux exprimer et glorifier, avec retenue toutefois, la réalité.

Face aux œuvres de Ron Mueck, le spectateur est avant tout confronté à la condition humaine, dans toute sa fragilité. L’artiste poursuit ainsi, dans un langage contemporain, la grande tradition de la nature morte ou même de la vanité. Digne héritier également de Georges de la Tour, il représente des personnages simples, humbles, impassibles, qui ne se livrent guère à une activité précise, pour mieux rendre leur humanité, en rupture avec une technique époustouflante accaparant toutes les attentions, tant celles de l’artiste que du spectateur. Seule exception à l’absence d’activité, une femme nue, dont la peau apparaît griffée par les branchages, soulève un fagot volumineux comme si elle portait ainsi tout le poids de la condition humaine.

Signalons que l’exposition des neuf sculptures se complète d’un film sur le lent travail de Ron Mueck et de ses assistants intitulé Still Life : Ron Mueck at Work. Patience, extrême minutie des tâches, recueillement : ce qui frappe, c’est le silence qui prévaut le plus souvent entre les différents exécutants. D’une durée de 52 minutes et quoique d’une extrême lenteur, le film se révèle passionnant, permettant de mieux comprendre le fascinant processus de création de l’artiste.

Extrait de Still Life: Ron Mueck at Work

 

 

Ron Mueck

Commissaire : Hervé Chandès
Commissaires associés : Grazia Quaroni assistée de Jennifer Pearce, Marie Savona
Régie générale : Christophe Morizot

Jusqu’au 29 septembre, Fondation Cartier pour l’art contemporain, 261, bd Raspail, 75014 Paris, tél. 01 42 18 56 50 - www.fondation.cartier.com, tlj sauf lundi 11h-20h , mardi jusqu’à 22h

Légende Photo :
Ron Mueck, Woman with Sticks, 2009, matériaux divers. Courtesy Hauser & Wirth, Londres. © Ron Mueck

Thématiques

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°391 du 10 mai 2013, avec le titre suivant : Ron Mueck installe le trouble

Tous les articles dans Création

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque