Art contemporain

Rétrospective

La ligne de Keith Haring

Keith Haring a les honneurs d’une rétrospective ambitieuse au Musée d’art moderne de la Ville de Paris et au Centquatre

Par Alain Quemin · Le Journal des Arts

Le 3 mai 2013 - 739 mots

Le MAMVP souligne, sans le signaler, l’importance du trait dans l’œuvre de Keith Haring, dans une scénographie qui fait malheureusement l’impasse sur le contexte de création.

PARIS - Keith Haring fait partie des artistes contemporains très connus et appréciés du grand public ; les produits dérivés illustrés de ses œuvres sont légion. La seule programmation d’une exposition semble vouée au succès. Voici cinq ans à peine, le Musée d’art contemporain de Lyon avait consacré à l’artiste américain une vaste rétrospective (dans l’ensemble de ses espaces) prolongée de deux semaines en raison de son succès. Ceci explique, sans doute, l’organisation des deux grandes expositions dans le même pays, à un intervalle aussi bref.

Par le choix judicieux d’œuvres de provenances très diverses, l’exposition parisienne fait bien ressortir le cheminement de Keith Haring, ainsi que les forces et les faiblesses de son œuvre. La sûreté du trait est déjà présente dans la série des 76 dessins qui composent les « Manhattan Penis Drawings for Ken Hicks » de 1978, présenté au début du parcours. Pourtant, cette même année, l’artiste se cherche encore, marqué aussi bien par les drippings de Jackson Pollock que par les figures de Jean Dubuffet vues au Carnegie Institute de Pittsburg en 1977. Cette salle est salutaire pour montrer combien – malgré son ancrage dans la rue, lieu de création de nombreuses œuvres – le jeune artiste a puisé dans l’histoire de l’art contemporain.

Une scénographie timorée
Plus tard, les personnages à tête de chien et les positions hiératiques de certains corps ne manqueront pas d’évoquer l’esthétique de l’Égypte ancienne. En 1980, Keith Haring esquisse déjà une remarquable série de sept dessins à l’encre noire sur papier blanc qui évoquent la répression d’une manifestation. En 1981, le style est encore davantage fixé et il évoluera alors peu… sauf à partir de l’année 1986 où, devenant parfois moins graphique, il présente une étrange parenté avec Robert Combas. De cela, l’exposition qui pourrait  mieux replacer l’artiste dans son époque, ses inspirations et ses fréquentations artistiques, ne montre rien, et c’est dommage. L’accrochage souligne, mais sans le signaler, combien le trait constitue l’essence de l’œuvre de Keith Haring. Les plus belles œuvres sont sans doute les « Subway Drawings » de 1982 à 1984 réalisées à la craie blanche sur fond noir. Quand des œuvres introduisent du relief, elles sont bien gauches. La couleur aussi est étonnamment décevante. Les œuvres en noir et blanc ne constituent jamais des versions appauvries de celles en couleurs, elles possèdent autant, si ce n’est davantage encore, d’énergie. Le trait peut aussi bien occuper très peu d’espace sur les feuilles de papier, les bâches ou plus rarement les toiles, que les envahir presque entièrement. Keith Haring s’est créé tout un langage graphique, à la fois par son trait propre mais aussi, tel Miro, par des motifs récurrents, comme le barking dog ou le radiant baby. Se découvrant atteint par le virus du sida en 1988, Haring perd l’essentiel de son énergie créatrice, les œuvres de ses dernières années de vie apparaissant globalement faibles.

La carrière de Keith Haring a donc été aussi brève que fulgurante. Elle se confond presque entièrement avec les années 1980, des premières œuvres produites à la fin des années 1970 jusqu’à son décès prématuré, à 31 ans, au début de l’année 1990. On s’étonnera donc qu’à l’exception de quelques images de Madonna, d’un peu de musique pop dans une salle et d’une timide évocation du métro, la scénographie soit aussi timorée. N’aurait-il pas fallu non seulement replacer l’œuvre de Keith Haring dans sa décennie, mais aussi dans son environnement de création ? Le métro aurait pu être bien plus présent, les discothèques aussi. Où est ici le monde souterrain associé à cette culture qui fut en partie alternative avant d’être récupérée par le musée et le marché ? Où est le hip-hop que Keith Haring contribua à légitimer ? Pourquoi l’exposition ne propose-t-elle aucune vidéo – elles existent ! – où l’on verrait l’artiste au travail ?

L’exposition se prolonge au centre culturel le Centquatre, dans le 19e arrondissement de Paris : trois sculptures monumentales, un container transformé en pop shop décoré et trois salles ornées d’œuvres souvent monumentales, dont l’imposante série des « Dix commandements » de 1985. Ici, l’animation du lieu résonne davantage avec l’œuvre.

Légende photo

Keith Haring - Untitled - 16 janvier 1981, encre sur papier vélin, 105,4 x 137,2 cm, collection Sender - © PhotoKeith Haring Foundation.

Keith Haring, The Political Line

Commissaires : Dieter Buchhart et Odile Burluraux
Scénographie : Cécile Degos
Nombre d’œuvres : plus de 250

Jusqu’au 18 août, Musée d’art moderne de la Ville de Paris, 11, avenue du Président Wilson, 75116 Paris, tel. 01 53 67 40 00,www.mam.paris.fr, mardi-dimanche de 10h-18h, le jeudi jusqu’à 22h.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°391 du 10 mai 2013, avec le titre suivant : La ligne de Keith Haring

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