Photographie

Les polars de Martine Aballéa

Par Alain Quemin · Le Journal des Arts

Le 24 avril 2013 - 707 mots

La galerie Art : Concept livre la vie secrète de Martine Aballéa, qui met en scène, en couleurs et en noir et blanc, des amours trahies et vengées.

PARIS -  De Martine Aballéa, on connaît surtout l’usage récurrent du médium photographique. Ses œuvres les plus marquantes sont des paysages naturels, sous-bois, clairières ou plans d’eau dont l’esthétique est patiemment retravaillée, tout particulièrement sur le plan des couleurs. Appuyant sur le caractère séduisant de ses clichés, l’artiste ne s’interdit alors rien, introduisant des roses, des fuchsias, des violets qui ajoutent de l’agrément autant que de l’artifice clairement identifiable en tant que tel. Souvent, elle recourt également au texte qui, incorporé à la surface de l’image, conduira à s’interroger sur ce que l’on voit. La nouvelle série présentée par Martine Aballéa à la galerie Art : Concept à Paris est dans la ligne de son travail. On notera, toutefois, que les images apparaissent plus banales que dans bon nombre de ses créations précédentes. Comme toujours, les vues de paysages naturels, sous-bois, ruisseaux ou clairières font l’objet de retouches, mais celles-ci restent beaucoup plus discrètes, ce sont les gammes de vert qui sont modifiées et, si les vues restent plaisantes, elles ne possèdent pas autant d’attrait que dans ses œuvres antérieures. D’autres photographies mettent en scène des pavillons sans charme particulier, qu’il s’agisse de leur façade ou de leur intérieur. Dès lors, quel intérêt peuvent présenter ces prises de vue ? C’est bien la banalité de ces images qui commencera par intriguer le spectateur. Le fait de les accompagner d’une phrase qui se trouve reproduite à la surface des images, centrée, et qui ne saurait donc figurer là par hasard, pourra-t-il apporter des éléments de réponse ? Soignées, plaisantes mais sans réel intérêt esthétique, les photographies semblent plus se rattacher à l’artisanat qu’à l’art proprement dit, et la présence du texte ne manque pas d’évoquer des couvertures d’ouvrage. Les textes renforcent le procédé en suggérant des absents ou, plus exactement, des disparus, façon roman policier. Le commentaire accompagnant l’exposition permettra d’apprendre qu’il s’agit d’amants assassinés – évoqués par des paysages en couleurs –, soit « Celui qui m’a oubliée/ Celui dont je n’avais pas besoin/ Celui qui est tombé amoureux d’une autre/ Celui que je n’ai pas aimé/ Celui que j’ai rencontré par accident/ Celui que j’ai trop aimé/ Celui qui m’a abandonnée », mais également d’amants fantômes – rendus en noir et blanc : « Celui qui m’apprend des choses/ Celui qui me distrait/ Celui auquel je pense souvent/ Celui qui revient toujours/ Celui que je vois dans mes rêves/ Celui qui veille sur moi ». Les photographies en noir et blanc, parfois en négatif, procurent une impression d’étrangeté davantage encore que les paysages naturels que l’on imagine pourtant, malgré leur caractère paisible, en scènes de crime. Sur une étagère figurent dix fioles étiquetées « poison, mort ».

Amants énigmatiques

On l’aura compris, il s’agit là d’une série très conceptuelle, dans laquelle l’intérêt réside moins dans les images elles-mêmes, qui ne sauraient apporter de réponse définitive, que dans le questionnement suscité, tant par les histoires que peut raconter chaque œuvre que par le procédé. Celui-ci consiste à présenter des photographies assez neutres auxquelles se superpose un texte qui vient interroger l’interaction entre image et narration. Cette nouvelle série, « My Secret Life of Crime », évoque le travail de Sophie Calle, tant par le recours au texte que par l’évocation du sentiment amoureux et de sa déception. Dans chaque œuvre, il est question d’un homme. Comme dans bien des romans policiers aussi, c’est dans le banal que prend naissance l’énigme, c’est dans des indices ténus – mais y en a-t-il ? – qu’il faudra rechercher une possible réponse. Que peuvent dire les images ? De quelle façon son message est-il orienté par le texte qu’elle contient ? Assassinés ou fantômes, ces amants, vécus ou fantasmés par l’artiste, sont appelés à rester énigmatiques.

Martine Aballéa. My Secret Life of Crime

Jusqu’au 18 mai, Art : Concept, 13, rue des Arquebusiers, 75003 Paris, tél. 01 53 60 90 30, www.galerieartconcept.com, du mardi au samedi 11h-19h.

Martine Aballéa
Nombre d’œuvres : 13 photographies, 1 installation composée de 10 fioles
Prix des œuvres : photographies : 8 000 €
Fioles : 300 € pièce

Légende photo

Martine Aballéa, Celui qui m'a oubliée, 2013, photographie couleur et sérigraphie, 90 x 60 cm. Courtesy Art:Concept, Paris

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°390 du 26 avril 2013, avec le titre suivant : Les polars de Martine Aballéa

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